White Trash
6.7
White Trash

BD (divers) de Gordon Rennie et Martin Emond (2016)

Le Label 619 s'impose depuis quelques-années comme un des éditeurs de comics les plus contemporains et les plus novateurs qui soient sur notre territoire, avec un esprit d'indépendance et de sous-culture assumé, insufflant ainsi dans les propositions actuelles une vague d'audace underground fraîche, démente, intense. C'est ici le cas avec le White Trash de Gordon Rennie mis en pages avec beaucoup de talent et une minutieuse dynamique par Martin Emond : un road-movie déjanté,



rock'n'roll dans le moindre dialogue et jusqu'au coeur des onomatopées,



servi dans un fatras graphique impeccable, grouillant de références populaire.


Gordon Rennie pose les bases d'un récit entre polar et course poursuite, multiplie les intervenants et, sans répit, pousse ses personnages vers les feux déchaînés de l'enfer. D'entrée, c'est un Elvis costaud et intraitable qui vient au crépuscule d'un bar perdu renouveler son pacte d'immortalité avec un vieux diable indien tandis qu'un Axl Rose de province survit instinctivement autant qu'avec chance à son road-trip façon Mad Max. Bientôt, le premier prend le second en stop sur le bord d'une route désertique, duo improbable mais jouissif pour



une embardée furieuse, sanglante et sauvage,



à travers le coeur poussiéreux d'une Amérique réduite à ses pires énergumènes : ploucs des marais, chrétiens incultes et sectaires, vétérans dérangés, habités des fantômes de trop de guerres ou encore autorité secrète et déchaînée d'agences gouvernementales au-dessus des lois au prétexte de la sécurité de l'Etat à travers cet imposant Agent Orange du FBI, capable pour éliminer une mouche d'incendier toute vie sur son chemin.


Le dessin fourmille. Comics richissime, White Trash est un pavé dans la gueule de l'art dense, précis et intense de Martin Emond. Gueules, grands espaces, technologie et bordel de bibelots, il faudrait dix lectures pour tout relever tant chaque case est pensée, tant



chaque détail joue sur le décor pour enrichir l'univers du récit,



comme ce corps gras de Clyde Dum Dum qui vient enfler la portière du camion boueux. Rien que pour l'artiste, White Trash est un indispensable.


C'est sans compter sur un des aspects les plus jouissifs de l'ouvrage, ce



foisonnement de culture populaire



qui hante la moindre page, la moindre case. Références musicales dès le titre du premier chapitre : Sympathy For The Devil, et tout au long de la narration, d'une phrase à l'autre au sein du même dialogue et venant immanquablement ponctuer chaque action. Références cinématographiques, de la bicoque hôtelière du Psycho d'Alfred Hitchcock au portrait anodin de Robert DeNiro dans le Taxi Driver de Martin Scorcese, en passant par les délires hallucinogènes de Las Vegas Parano, et j'en oublie tant encore... Références au comics américain évidemment, des collants de Spiderman au t-shirt de Flash. Tank Girl encore auquel on ne peut s'empêcher de penser.


Concentré de pop culture américaine, White Trash porte en dérision les handicaps vieillots et élimés d'une Amérique qui a oublié la puissance fascinante de son esprit de conquête initial : Gordon Rennie proclame ici haut et fort combien



le rock'n'roll reflète encore l'époque fiévreuse des premiers pionniers



qui traversèrent l'aridité démente de ces décors du coeur d'un pays trop grand pour l'homme, combien la folie reste dès lors tapie sous la soif de dévorer le monde. Martin Emond adhère alors au discours sur une lancée compacte, dense et explosive, tendue sous les impulsions spontanée, irréfléchie, de leurs personnages déglingués.



Le démon est à l'oeuvre et son refrain résonne toujours between a rock and a hard place.


Créée

le 28 déc. 2017

Critique lue 313 fois

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