Wilson
7.1
Wilson

Comics de Daniel Clowes (2010)

Le cas édifiant de nos semblables

Vaniteux, imbu de sa personne, méprisant, nombriliste, intolérant, impatient, intransigeant sauf avec lui même, paresseux et associal… Wilson, le dernier-né de Daniel Clowes est-il totalement irrécupérable ?

Il est difficile de s’y faire, mais Daniel Clowes, le prince de la bédé indé américaine, celui qui a si bien chanté l’arrogance et le pathétique de la jeunesse, va avoir cinquante ans. Wilson lui, en a 43 au début de cet album. Il vit seul avec sa chienne, ne semble pas avoir d’amis et déteste ses semblables, même s’il proclame le contraire. C’est le genre de gars qui adresse la parole à tout le monde pour avoir le plaisir de s’entendre pérorer.
Il est à un tournant de son existence, comme souvent en littérature : son père, qu’il n’a pas vu depuis des années, va mourir. C’est l’occasion d’un retour dans la ville de son enfance et de s’interroger sur sa place dans l’univers, la brieveté de l’existence et la trace qu’il va laisser...

Clowes est désormais en pleine possession de ses moyens d’expression et c’est dans une histoire simple comme celle-là, dépourvue de tous les artifices romanesques habituels, qu’on peut en prendre la pleine mesure. En effet, il n’y a ici ni super-héros, ni cauchemars emboîtés, ni de personnages extravagants. Juste un connard donneur de leçons vieillissant qui a l’occasion de s’ouvrir aux autres et de progresser.

L’auteur déroule son histoire sous la forme de gags en une planche. Son humour repose sur le langage (le dit et le non-dit) et sur son prodigieux sens de l’ellipse (entre deux gags il peut dans le récit s’écouler quatre ans !). Selon une technique dont il est passé maître, il alterne des registres graphiques variés mais cependant tous issus de la tradition du comic américain. D’une planche à l’autre, les ruptures ainsi provoquées ont pour effet tour à tour d’objectiver, de relativiser, de dramatiser, de caricaturer ce qui est donné à voir. Ainsi ce qui pourrait n’être qu’hilarant se double d’un revers déprimant.

Wilson est un loser comme Clowes en a déjà dépeint de nombreux… Sa particularité est d’être un peu le résultat des précédents, leur version vieillie et en bout de parcours. Difficile de ne pas y voir comme un avertissement imprécatoire. Avec dérision, l’artiste semble mettre en garde ceux qui ont tant loué sa causticité : voyez ce à quoi peut mener tant de cynisme, de négativité et de rancœur accumulés ! Ainsi derrière le misanthrope on découvre assez logiquement un moraliste. Comme Clowes est le plus littéraire des auteurs de BD américains, cette leçon de morale est servie avec retenue, humour et émotion : comment au final ne pas compatir devant un de nos semblables qui après avoir consciencieusement raté la première partie de sa vie, s’emploie presque instinctivement à saborder la seconde ?

Vladimir Lecointre
aaapoumbapoum
8
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le 16 nov. 2012

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