Responsable de la série Batman depuis le New 52 en 2011, Scott Snyder est un scénariste tout autant apprécié que honni. Son travail de dépoussiérage sur l'univers du Caped Crusader compte autant de bonnes idées (La Cour des hiboux, L'An Zéro) que de plus mitigées (Last Knight on Earth) et on a souvent vu le pauvre Snyder se faire descendre en flèche pour ses parti-pris singuliers, pourtant parfaitement mis en pages par son compère, le légendaire Greg Capullo (Les Chroniques de Spawn).
Pourtant, Snyder a beau avoir sa hater-base fidèle, il reste un des scénaristes de comics les plus talentueux de notre époque, aux côtés de Sean Murphy et de Jeff Lemire. Ce n'est d'ailleurs pas à l'aveugle que DC lui a confié son titre le plus important pendant plus d’une décennie sans être persuadé que le jeune auteur saurait apporter du sang neuf au Batverse. Et il faut bien avouer que Snyder a plus que repensé l'univers du justicier, en lui opposant de nouveaux adversaires, en redéfinissant ses origines ainsi que la nature de son conflit avec le Joker. D'autant plus que loin du Chevalier Noir, Snyder a aussi œuvré sur des titres moins mainstream mais remarquables (Severed, The Wake).
C'est ainsi qu'au lendemain de la parution de L'An Zéro, paraissait en 2014, ce comic d'horreur indépendant intitulé Wytches. Retrouvant pour l'occasion le talentueux illustrateur Jock avec qui il avait officié sur le très bon Batman Sombre reflet, Snyder proposait avec cette mini-série publiée en one shot en France, une intrigue originale dont les origines remontent à sa jeunesse. En effet, dans sa préface, le scénariste raconte comment, un jour de promenade dans les bois, il fut un instant sidéré devant l'image d'un tronc d'arbre qui lui parut dans l'instant vivant et sur lequel un visage le regardait. Un effet d'optique bien sûr mais qui l'impressionna suffisamment pour que germe en lui les prémisses de ce qui deviendrait l'intrigue de cette histoire fantastique et horrifique.
Laissant derrière eux un tragique incident, la famille Rooks s'installe dans une petite bourgade. Le père, Charlie, est auteur de bande-dessinées et appréhende cette nouvelle vie. La mère, Lucy, clouée sur un fauteuil roulant depuis un accident s’enfonce dans la torpeur. Et leur fille, Sailor, tente de s'intégrer dans son nouveau collège. Mais les bois cernant leur maison vont bientôt révéler les fantômes d'un passé qui s'échine à les suivre. Lorsque Sailor disparait, son père se lance à sa recherche et découvre avec horreur les secrets impensables que renferment la sinistre forêt.
Très proche de l'approche narrative d'un Stephen King (dont Snyder est un ami depuis leur collaboration sur American Vampire), à savoir intrigue focalisée sur les angoisses d'un père écrivain, les secrets fantastiques hantant une sinistre petite bourgade du trou du cul des States, les monstres métaphoriques reflétant les plus grandes peurs du protagoniste, Wytches déroule une histoire originale qui parle moins de sorcière (contrairement à ce que semble éventer le titre) que de harcèlement scolaire (sujet plus que d'actualité) et de la responsabilité du rôle de père, des angoisses et doutes qui vont avec, et des vaines tentatives que l'on peut mettre en œuvre pour (sur)protéger sa progéniture. Snyder se décrivant lui-même comme un père névrosé, maladivement inquiet, il n'est pas interdit bien sûr de voir dans le personnage de Charlie une projection évidente de l'auteur lui-même, comme l'a d'ailleurs souvent fait King avec ses propres protagonistes. Usant de son prétexte surnaturel comme d'un vague ressort narratif et métaphorique (les monstres n'y sont, à l'image des vampires de Salem, que le catalyseur d'une intrigue principalement resserrée sur les atermoiements de son héros), Wytches prend en cours d'intrigue une tournure plus faustienne, voire carrément mathesonienne dans sa façon de dresser le tableau d'une communauté américaine corrompue par le Mal et se gardant bien de révéler ses secrets, un peu comme l'avait fait l'auteur de Je suis une légende dans son roman Hypnose qui confrontait déjà un père de famille à un voisinage moins propre qu'il voulait le faire croire. En gros, il y a toujours lieu de redouter une communauté de personnes jaloux de leurs privilèges.
Naturellement, Wytches vaut surtout le coup d'œil pour la qualité de ses illustrations, Jock se surpassant en composant des planches dont le style abstrait s'accorde à merveille à l'atmosphère anxiogène voulue par Snyder. La mise en page est fluide, le découpage original, et l'illustrateur anglais nous offre bien souvent quelques visions mémorables, particulièrement tetanisantes et surréalistes à l'aune de l'horreur graphique qu'elles proposent (voir les personnages se faisant happer et compresser à l'intérieur des arbres). Sa figuration du monde des sorcières, bien qu'assez court comme passage, évoque aussi beaucoup le film The Descent et met parfaitement en image la quête initiatique d'un père prêt à braver toutes ses peurs pour sauver sa fille.
Petite perle de comic horrifique, sorte de conte initiatique pour jeunes papas, Wytches se (re)découvre donc avec grand plaisir et je ne saurais trop encourager les retardataires (comme moi) à s'y plonger. En l'état, l'œuvre se suffit à elle-même et ce malgré le teasing par l'auteur d'une suite qui, depuis la parution de ce premier tome en 2014, ne s'est hélas jamais concrétisée.
La faute à Batman, très certainement.