A sa sortie il y a trois ans, Skyfall avait fait quelque peu l'effet d'une bombe propre à poursuivre l'entreprise d'humanisation du célèbre agent initiée par le tout aussi mémorable Casino Royale mais un rien contrariée par un Quantum of Solace perclus de scories narratives et stylistiques. A l'image d'un Nolan, Mendes avait réussi à concrétiser son ambition de conférer à un pur produit de commande des vertus auteurisantes, tirant son oeuvre vers un formalisme flamboyant tout en s'appuyant sur un scénario qui détournait habilement les conventions classiques du genre.


A l'aune d'une telle réussite, on était alors en droit d'attendre beaucoup du retour de Mendes à la barre de ce nouvel opus dont le titre Spectre trahissait déjà la volonté de renouer avec tout un pan de la mythologie primordiale établie dès James Bond contre le Dr No. Il convient alors de revenir une quarantaine d'années plus tôt. Au lendemain de la sortie des Diamants sont éternels, Fleming perdit un procès face au scénariste Kevin McClory (qui revendiquait alors la paternité du Spectre et de son illustre chef), contraignant de la sorte les ayant-droits cinématographiques à renoncer à poursuivre l'antagonisme Bond/Blofeld. L'ère Moore vit alors l'arrivée de nouveaux adversaires, pour la plupart tous inspirés des écrits de Fleming mais sans aucun lien apparent avec le Spectre. Contraint de s'affranchir définitivement des intrigues liées à la sinistre organisation, les scénaristes décident alors en 1981 de convoquer une dernière fois (qu'ils croyaient) la némésis de Bond pour l'expédier dans une cheminée d'usine en activité au terme du prologue de Rien que pour vos yeux. Un trépas grotesque claquant facilement la porte à tout un background pour ouvrir les intrigues des 80's à d'autres formes de menaces plus ou moins dans l'air du temps (le danger soviétique supplante alors celui du Spectre).


Comme son titre et ses bandes annonces le suggéraient depuis plusieurs mois, le nouvel opus de Mendes se propose d'exhumer cette organisation tentaculaire tout en ayant l'ambition de moderniser ses motivations ainsi que ses agissements. Si l'on pouvait plus ou moins se réjouir d'un tel retour aux sources, les premières images laissaient présager un traitement alléchant, que l'on aurait pu croire tout aussi poussé que dans le précédent opus. Il n'en est hélas rien, la déception étant très vite de rigueur, la faute essentiellement à un scénario paresseux qui aligne les facilités narratives sans jamais exploiter le plein-potentiel de son postulat. Là où Skyfall brillait par l'intelligence de son approche et avait le mérite de proposer une dramaturgie riche en figures ambivalentes (Bond, M et Silva y formaient une trinité particulièrement fascinante), le scénario de Spectre se contente de dérouler une intrigue convenue, gangrenée de passages obligés et de personnages archétypaux à l'extrême.


Croulant sous le poids d'un héritage qu'il tente maladroitement de mettre au goût du jour via une menace en forme de MacGuffin neo-orwellien, l'ultime opus de Mendes rétrograde à tous les niveaux : exit le semblant de réalisme des trois précédents opus, le gunbarrel d'ouverture (pourtant proscrit des trois derniers opus jusqu'au final de Skyfall) fait rapidement place à l'humour décomplexé, au fan service outrancier, aux situations rocambolesques et aux stéréotypes classiques sans la moindre profondeur dramatique. Ainsi de la James Bond girl redevenant ici simple femme objet, à la fois victime en puissance et récompense de charme aux exploits du héros (voire le traitement infligé au personnage de Monica Bellucci qui cumule ici quatre minutes de présence à l'écran avant d'être bazardé par le scénario). De même en ce qui concerne le principal antagoniste du film, un adversaire "primordial" aux origines remaniées et dont le caractère simplement machiavélique et les motivations mégalo-nébuleuses le rangent finalement au rang des adversaires les plus falots de 007 (toute époque confondue). Un comble quand on sait que les auteurs proposent d'en faire la source injustifiée de tous les tracas du bond craigien. Pour cela, ils ne se fouleront pas des masses pour nous l'expliquer, une réplique et quelques photos souvenirs en dernière bobine suffiront à légitimer les improbables connections avec les intrigues des trois opus antérieurs (il faut d'ailleurs que quelqu'un m'explique en quoi Oberhauser a quelque-chose à voir avec la vengeance de Silva...).
Au nombre des stéréotypes s'ajoute aussi le dénommé Mr Hinx (Dave Bautista, un habitué des rings de catch, des cocktails protéinés et des rôles avares en répliques), un homme de main dont la stature imposante et le caractère mutique convoque évidemment le souvenir des Oddjob, Requin, Stamper et consorts. Cette armoire en guise de principal porte-flingue ne sert d'ailleurs qu'à justifier le maigre quota de scènes spectaculaires que comporte le film.


Car si Spectre demeure à ce jour l'opus le plus long de la franchise, il est aussi l'un des plus avares en action. Passé un impressionnant prologue mexicain, celle-ci se raréfie considérablement et le scénario prétexte ci-et-là quelques sursauts pyrotechniques et autres échauffourées ferroviaires sans réel souci de cohérence narrative. Pis encore, la facilité dont fait preuve Bond pour survivre à ces quelques péripéties tonitruantes (la montre explosive et l'évasion fulgurante du complexe après l'allégorie de la torture) confine à un cynisme qui en dit suffisamment long quant à l'approche adoptée par le cinéaste pour ce nouvel opus (il faut rappeler que Mendes s'est quelque peu fait prier après Skyfall pour rempiler une seconde fois). Une telle désolidarisation des enjeux dramatiques a de quoi surprendre et finit même par porter atteinte à la crédibilité dramatique des trois précédents films. Car ces sursauts d'auto-dérision, même si ils prêtent parfois à sourire (la playlist de 009, le siège éjectable...), auraient tout simplement été impensables il y a encore trois ans.


En outre, ce qui est grandement dommageable, c'est le peu d'importance qu'accorde le script à l'organisation-éponyme. A l'image de ce que le scénario de Quantum of Solace effleurait dans sa première partie (avec l'omni-présence des tueurs de Quantum), il aurait été tellement plus judicieux de la part des scénaristes de jouer d'une menace plus insidieuse et angoissante qu'était à même de faire peser une organisation ayant visiblement infiltré toutes les strates hiérarchiques, politiques et aristocratiques. Imaginez seulement les perspectives thématiques passionnantes qu'aurait pu permettre l'exhumation d'un tel Spectre à notre époque. Au lieu de ça, le scénario se contente de recycler les bons vieux ingrédients des années 60 à 90 tout en expurgeant l'intrigue de la moindre innovation dramatique.


Dommage, car ce retour aux fondamentaux aurait pu être une bonne chose si seulement le scénario avait bénéficié d'un tant soit peu d'imagination et de la même rigueur d'écriture que Skyfall. Tout le problème de Spectre est là, dans une intrigue qui hésite visiblement entre créer une nouvelle formule et revenir à un traitement plus conventionnel. Mendes a beau soigner sa mise en scène et se reposer sur une très belle direction artistique, il lui est fatalement impossible de renouer avec la maestria de son précédent opus sans un script un tant soit peu exigeant. Et si Spectre demeure en l'état un honnête divertissement propre à contenter certains puristes et autres spectateurs de bon poil, son réalisateur y abandonne clairement toute ambition auteurisante pour livrer là un authentique travail de mercenaire, tout juste digne de ceux des modestes faiseurs qui l'ont précédés.

Buddy_Noone
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs James Bond et Les pires films des grands réalisateurs

Créée

le 28 nov. 2015

Critique lue 423 fois

18 j'aime

7 commentaires

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 423 fois

18
7

D'autres avis sur 007 Spectre

007 Spectre
guyness
5

Les archives James Bond, dossier 24: La menace fantôche

Quotient James Bondien: 5,83 (décomposé comme suit:) BO: 6/10 Thomas Newman est sans doute victime ici du syndrome "Skyfall 2", qui saisit également le reste de la production. Lui au moins...

le 28 mai 2022

172 j'aime

49

007 Spectre
Fritz_the_Cat
5

Crise de la quarantaine

Malgré un univers codifié depuis quatre décennies, donner un avis partagé sur Spectre demande pas mal d'explications. Du coup, soyez prévenus, j'ai opté pour un texte contenant son lot de spoilers, y...

le 11 nov. 2015

110 j'aime

13

007 Spectre
Bondmax
7

Bond of Brothers

The Dead are alive. Voilà la phrase qui apparait à l’écran juste après le gunbarrel de retour au début du film. The Dead are alive, rien de plus normal lorsque l’on voit que le spectre des figures...

le 30 oct. 2015

85 j'aime

29

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32