1001 Pattes
6.7
1001 Pattes

Long-métrage d'animation de John Lasseter et Andrew Stanton (1998)

Un nouveau défi numérique pour Pixar, leur première grande réussite à mes yeux

Alors que Toy Story vient de connaître un succès critique et commercial phénoménal, Pixar a désormais plus de moyens et de visibilité pour renouveler leur réussite, un moment crucial dans leur parcours où il leur reste tant à prouver alors que les attentes les concernant se sont démultipliées. C’est aussi la grande première d’Andrew Stanton au poste de réalisateur, lui qui deviendra l’un de mes préférés du studio, même s’il est ici aux côtés de John Lasseter qui reste le réalisateur emblématique des débuts de Pixar à n’en pas douter. Cette fois-ci, s’il s’agira toujours d’adopter le point de vue de petites créatures dans un environnement humain contemporain, mais ce ne sont plus les jouets qui parlent, ce sont les insectes !



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆



La mise en perspective de notre monde à une échelle d’insecte est extrêmement intéressante visuellement. Dès la première scène du film, avec ce plan-séquence se positionnant à une hauteur humaine avant de zoomer sur la végétation jusqu’à la perspective des insectes, le film réussit superbement bien à mettre en scène son univers et il ne cessera d’en répéter la prouesse. On retrouve ainsi plein d’idées originales et pertinentes pour exploiter cet environnement avec beaucoup d’humour et d’intelligence : une fourmi planant en s’accrochant à un pissenlit comme on a tous joué un jour à leur souffler dessus, la combinaison ingénieuse des capacités des insectes de différentes natures pour les affrontements, le surf dans les airs sur des feuilles en forme de planches, le brin d’herbe improvisé en toboggan…


Ce monde naturel des insectes est assez recherché avec ces souterrains illuminés par des champignons phosphorescents et des raies de lumière y jaillissant… et il en va de même pour le monde des humains qui ne manquent pas d’idées pour faire écho à nos grandes villes surpeuplées, polluées… en se réappropriant intelligemment déchets, objets du quotidien… Le montage comprend également ses fulgurances ici et là avec un même mouvement de caméra se poursuivant sur 3 plans différents avec des transitions d’une fluidité irréprochable pour s’achever sur une image évoquant la première de la séquence, le découpage des scènes évoquant le temps qui passe avec l’évolution de la couleur et de la chute des feuilles de l’arbre...


C’est aussi complété avec un excellent travail sonore, que ce soit par le vol des sauterelles faisant écho à celui d’avions de guerre survolant leurs cibles, les bulles d’eau devenant des bombes dévastatrices… le son sera d’un renfort certain pour la réussite de cette mise en scène très maîtrisée. En revanche, je serais moins convaincu par l’OST de Randy Newman, celle-ci fait bien son travail mais sans jamais vraiment se distinguer. Il est à noter d’ailleurs que contrairement à Toy Story, le choix a été fait de s’abstenir de chansons hors générique, c’est sans doute mieux que d’en faire une sans autre intérêt que de remplir un cahier des charges.


Après avoir fait preuve d’une audace technique certaine avec la réalisation de Toy Story, Pixar ne cherche pas à se reposer sur ses lauriers, bien au contraire. Dès ce deuxième long-métrage ils ont fait le choix de se fixer de nouveaux défis techniques et le plus notable serait sans doute le nombre colossal de créatures animées sur un même plan. C’est une fois de plus une formidable prouesse dont les ingrédients ne sont autres que le talent et l’ingéniosité des animateurs du studio. John Lasseter dit ceci, assez librement traduit par mes soins, à propos du travail de l’équipe d’animation pour relever ce défi numérique :



C’est très facile de prendre un morceau d’animation et de le répéter à l’infini. Mais donner à chaque individu une personnalité, donner à la colonie un sentiment de vie, c’est le vrai défi ! Pour y parvenir, plein d’animations différentes ont été réalisées des pieds aux antennes et réparties aléatoirement entre les fourmis aux tailles et à la corpulence différentes les unes des autres.



Le quadruple de budget se voit très bien également dans le soin du détail apporté aux textures modélisées, tous les petits grains ressortant d’un morceau de terre, toutes les ondulations à la surface d’une goutte d’eau, toutes les petites tâches recouvrant la peau des insectes, tous les petits trous décomposant une feuille, toutes les petites animations des paupières, toutes les nuances de rougeoiement se dégageant de flammes… le film a très bien vieilli visuellement alors que cette technologie était encore très récente et que Toy Story en avait fait les frais. Le budget à lui seul ne peut l’expliquer, le talent est là, il est indéniable et ne limite pas à la réalisation et l’esthétisme du film.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆



Le long-métrage se concentre énormément sur le parcours de son protagoniste et Tilt est parfait pour une identification de la part des plus jeunes, on a tous fait preuve de maladresse quand on était encore haut comme 3 pommes et on a tous pourtant rêvé d’être un héros adulé de nos proches, et le film développe un propos assez intelligent sur cette question avec le parcours de notre jeune héros en herbe. Avoir confiance en soi, croire en ses idées… mais sans se croire supérieur aux autres juste parce qu’on se sent différent, en faisant preuve d’intelligence plutôt que de force brute, en se liant d’amitié avec autrui en obtenant leur confiance plutôt qu’en l’attendant…


Des légers mais réels messages de tolérance envers les autres cultures que la notre même quand elles nous paraissent incompréhensibles, de justice sociale en encourageant la révolte d’une classe de travailleurs opprimés par une classe de parasites à la cupidité insatiable, de libre-arbitre en s’autorisant à s’émanciper des conventions tout en continuant de penser au bien du groupe, d’écologie en dénonçant la destruction de la nature par l’homme, de féminisme en confiant au premier rôle féminin une certaine force de caractère derrière sa douceur… sont également des messages positifs que j’apprécie et qui parsèment le film.


Le film sait aussi se jouer des représentations populaires en faisant semblant d’adopter un cliché pour finalement le prendre contre-pied, la mignonne coccinelle s’avère être un mâle bourru et agressif, la cruelle araignée s’avère être une dame bienveillante et délicate… Par ailleurs, Pixar commence aussi dès ce deuxième film a inclure des éléments récurrents formant un univers global entre leurs longs-métrages, avec par exemple la présence du camion Pizza Planet, c’est assez secondaire mais plutôt intelligent, comme leurs légers clins d’œil à d’autres productions classiques de Disney.


Les comportements des insectes sont inspirés de véritables comportements qu’ils peuvent avoir dans la réalité, ce qui confère au long-métrage un aspect presque documentaire assez intéressant sans non plus en devenir ennuyeux car c’est toujours l’occasion de gags bien sympathiques. C’est la même chose pour les gadgets de Tilt, ils font écho à des technologies réelles et repose sur des principes physiques a minima cohérents, même si bien sûr des libertés sont prises pour que le tout reste amusant et sans prise de tête, le contraire serait inappropriée.


J’avais reproché à Toy Story d’être un peu trop malaisant et anxiogène pour un jeu public dans ses choix de mise en scène de ses dangers et antagonistes, il faut croire qu’ils m’ont entendu et écouté puisque cette fois je ne le ressens plus du tout avec les sauterelles. S’ils sont démontrés comme étant menaçants, l’angoisse est toujours adoucie assez vite avec des gags qui ne les rendent pas non plus grotesques, ce qui est vraiment le bon équilibre à mon sens. Je trouve aussi que les personnages secondaires sont mieux traités dans l’ensemble que les jouets du premier Toy Story dont beaucoup trop étaient de pâles figurants, je sens à travers ce film un progrès conséquent de la qualité d’écriture de Pixar.


Pour le casting, les rôles secondaires comptent quelques fulgurances que j’apprécie beaucoup, notamment Kévin Spacey en antagoniste principal, c’est juste parfait ! Le ton si condescendant qu’il est capable de prendre, toute la puissance qu’il peut insuffler à ces ordres, cette sensation qu’il est toujours en train de se retenir de fulminer de rage, ses changements d’humeur si brusques… Par contre, pour les personnages principaux je les trouve corrects mais sans plus, en VF comme en VO, et d’ailleurs on ne les reverra pas beaucoup dans des productions majeurs pour la plupart d’entre eux. Il y aussi un autre point sur lequel j’aurais des petites réserves personnelles, c’est le personnage d’Heimlich qui est tout de même assez présent à l’écran, dans la communication autour du film… et je trouve qu’il fait un élément comique très moyen, il gâche un peu le tableau et même la scène finale, c’est un peu dommage.



CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆



Malgré la multiplication par 4 du budget de la production par rapport à celle de Toy Story, le box-office est le même, ce qui reste un succès tout en étant une déception commerciale mais ce sont surtout les critiques qui marquent cette déception. Si A Bug’s Life est majoritairement considéré comme un film sympathique du studio, bien en-dessous de leurs productions les plus illustres, c’est personnellement l’une de mes préférées, mon premier coup de cœur pour le studio. Pour sa mise en scène très maîtrisée complétée par un travail sonore de haute volée, sa réalisation ultra-aboutie pour dépeindre son univers d’insectes foisonnant d’idées visuelles, ses thématiques diversifiées et intelligentes portées par des personnages dont j’apprécie beaucoup les caractérisations te évolutions… il n’y manque qu’une meilleure OST et un meilleur casting pour en faire tout simplement l’un de mes films d’animation préférés.

damon8671
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le 9 nov. 2021

Critique lue 63 fois

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