Coulisses d'une lutte entre tabous et liberté

Chaque année, on voit passer certains films dont le succès critique ne semble faire aucun doute. Ces rouleaux-compresseurs qui vont rafler toutes les récompenses aux cérémonies les plus prestigieuses. Des fois on les attend, des fois pas. 120 battements par minute vient justement provoquer un petit remue ménage dans la sphère cinématographique et s’annonce déjà comme le grand favori des Césars 2017. Mais en vaut-il la peine ?


De retour au début des années 90 dans les coulisses de l’association Act Up, 120 battements par minute vient nous faire vivre le quotidien de militants convaincus et dévoués à la cause de la prévention et de la lutte contre le SIDA, maladie encore tabou et méconnue à l’époque. Contrairement à une certaine partie des drames sociaux et des films traitant d’événements réels, ce film n’a pas pour simple ambition de nous montrer ce qui s’est passé à cette époque, mais bien de nous le faire vive. Très authentique dans son approche et dans la restitution des faits, le film montre des acteurs qui semblent improviser, tant les scènes jouées paraissent réelles et se dérouler sur le tas. C’est dans cette sorte d’ « improvisation maîtrisée » que se déroule le film qui prend l’aspect d’un reportage certes scénarisé, mais très immersif.


120 battements par minute capitalise sur la méconnaissance du SIDA de la part du grand public, considérant cette maladie comme tabou et réservée aux homosexuels et aux « dépravés ». Ce sont d’ailleurs ces personnes rejetées par la société qui sont les protagonistes du film. Sans cliché, sans tabou, ils sont montrés dans leur quotidien et leur intimité, sans volonté de les magnifier ni de les desservir. Ce sont des êtres humains, avec des envies, des peines, une volonté de vivre, quitte à être déraisonnables. C’est ainsi que Robin Campillo montre ses personnages, et les inscrit dans le mouvement mené, entre autres, par Act Up. Un mouvement répondant à une ignorance générale et à un mépris du danger représenté par le SIDA, qui n’est pas que la « maladie des pédés », mais qu’elle peut toucher n’importe qui, si les bonnes mesures pour le contrer ne sont pas prises. Moqués, plaqués au sol, arrêtés, les militants, souvent des victimes du SIDA, sont les porte-paroles de l’indéfendable, qui pourtant va bientôt devenir un vrai sujet de santé publique.


Ainsi, les séropositifs sont montrés comme des jeunes assez délurés et croquant la vie à pleines dents, ce qui a plusieurs objectifs et lectures : ce sont des gens qui aiment la vie et méritent autant que les autres de la vivre, ce sont des gens combatifs qui font fi de la maladie et en font une force, et c’est aussi une manière de représenter la maladie telle qu’elle était considérée à l’époque, c’est à dire celle des gens qui font n’importe quoi et ne pensent qu’à s’amuser alors qu’elle peut toucher n’importe qui, et que ces gens ne valent pas moins que les autres. A ce niveau, et dans sa capacité à montrer la souffrance de ces personnes, le film tient son pari. Mais son choix d’avoir un regard très interne sur le sujet, bien que maîtrisé ici, oblige le film à adopter une approche très frontale de la problématique, qui restreint le contexte et l’empêche d’avoir un rayonnement plus large afin de saisir la place d’Act Up dans l’histoire de la lutte contre le SIDA.


La grande force de 120 battements par minute réside dans son authenticité et dans son collectif d’acteurs tous aussi saisissants les uns que les autres. Sans la moindre once de sur-jeu, avec une authenticité rare, le film nous plonge dans le quotidien de ces personnages divers et variés qui ont lutté non pas pour l’intérêt d’une communauté, mais pour celui du monde entier. On regrettera l’approche trop frontale du film, très documentaire, au détriment d’une contextualisation plus large de l’intrigue, et d’une meilleure empathie envers les héros, qui empêchent d’avoir la cerise sur le gâteau. Mais il n’y a pas trop à s’inquiéter sur la performance du film à la future édition des Césars, et c’est un film à voir, ne serait-ce que pour sensibilité au danger que représente toujours le SIDA aujourd’hui.


(6,5/10)

JKDZ29
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le 1 oct. 2017

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