Marseille. Hiver.


Centre d’accueil de nuit Saint-Jean-de-Dieu, sa file d’attente pour se voir octroyer un lit, ses murs beige-saumon à la peinture écaillée, ses dortoirs véritables puzzles de lits et d’affaires personnelles, ses cages d’escaliers défraîchies éclairées aux néons bruts, ses rangées de chaises de hall de gare fixées au sol, sa cour centrale où tout le monde se croise, sa salle de télévision où les hommes s’agglutinent pour regarder Scorpion le roi soleil sur TMC et sa porte close une fois le 300ème homme accueilli.


300 lits, 300 places, 300 hommes.


Emmanuel Gras film ce lieu exceptionnel. Pose sa caméra dans chacune de ses pièces, dans le détour de ses couloirs, l’installe au milieu des pensionnaires. Il se focalise sur les gens qui s'y croisent, sur les relations qui y naissent. Sur l'humain. Comment ces hommes en sont arrivés là ? On ne le saura jamais, ce n’est pas le propos du film. Le réalisateur s’intéressent à leur présent, pas à leur passé, ni à leur avenir. La chute a eu lieu, que se passe-il quand un homme atteint le fond ?


Il ne vit plus, il survit.


Trouver une place dans un refuge n’est qu’un combat de plus. Il suffit de voir la réaction des refoulés, une fois le centre complet. Ce refuge est un phare, une petite source de lumière au cœur de l’obscurité. Le frère Didier, aux commandes, en est le symbole parfait. Un homme de foi, solidaire, qui recueille les hommes perdus, tend la main aux oubliés pour qu’ils puissent avoir quelques minutes de répit. Un homme de foi, dur, qui doit imposer son autorité, faire respecter les règles pour que ce lieu puisse continuer à exister.


Entre promiscuité et solitude, ennui et passe-temps, âpreté et légèreté, le centre bouillonne, roupille, explose, s’apaise, déprime, surprend et rigole aussi, parfois. Les hommes tuent le temps comme ils le peuvent ou le regardent défiler lentement. Dans cette absence totale de vie privée et de perspectives, chaque parole, chaque geste, chaque regard peut mettre le feu aux poudres. Le centre fourmille d’électricité statique prête à exploser. Puis au milieu de tout ça, quand le soleil se couche et que la nuit arrive, quand la rue laisse place au sommeille qui laissera de nouveau la place à la rue, quelques conversations naissent au grès des rencontres. Simples et légères. Parfois drôle.


Un film humain, touchant. On a le cœur serré face à ces hommes sans espoirs, le regard perdu, seul, complètement isolé, dans le silence d’un couloir déserté ou le brouhaha d’une salle bondée.

Clode
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le 28 mars 2015

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Clode

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