Si le nom de Mike Judge est assez peu connu de notre côté de l’Atlantique, chez nos voisins américains il est célèbre pour deux séries animées cultes des années 1990 à 2010 Beavis et Butt-Head et King of the Hills, sarcastiques et provocantes. Deux de ses films sont devenus cultes sur le tard, après des sorties en salles assez tièdes, dont le plus connu est Idiocracy en 2006 tandis qu’Office Space est lui sorti en 1998.

Contrairement à ce que voudrait vous faire croire Allociné et IMDB, ce dernier n’est pas sorti pour la première fois en France en VOD en 2014. Rebaptisé en France « 35 heures, c’est déjà trop », rien que ce titre évoque déjà la réforme des 35 heures en France au début des années 2000, tandis que mon exemplaire DVD date de 2003 et le dépôt légal de la BNF (qui enregistre les sorties) 2001. Sachez-le pour briller en société.

Avec Office Space, Mike Judge dépeint l’absurdité de ces mondes bureaucratiques qui prétendent réinventer la roue alors qu’ils ne font que se mordre la queue, dans un environnement de travail qui se présente comme ouvert sur les autres mais qui n’en écrase pas moins tout le monde. Le film adapte un personnage récurrent de vieux cartoons de Judge, toujours présent mais en arrière-plan, tandis qu’il ajoute de nouveaux personnages pour étoffer son univers. Mike Judge s’appuie sur des souvenirs de boulots temporaires ennuyeux dans de tels cadres de travail, ce qui ne fait que souligner la crédibilité de certaines situations qui se répètent encore jusqu’à nous.

Bienvenue chez Initech, une grande société de développement logiciel dont Peter est cadre informatique. Il est bien conscient que sa vie professionnelle est rébarbative, agaçante par la répétition de ses corvées confiées, soumis aux désirs de son supérieur hiérarchique direct, Bill, petit roitelet. Et pourtant, après une thérapie hypnotique un peu foireuse, Peter va se mettre à changer, il va prendre un recul nouveau sur sa situation. Ne pas travailler le week-end malgré les demandes de son manager. Ne pas arriver à l’heure. Abattre les cloisons de son « office space », manger quand ça lui chante, travailler quand il le désire. Peter fait sa révolution mais avec un détachement lointain.

Sa nouvelle assurance surprend Bill, mais épate deux conseillers venus « dégraisser » la compagnie, qui lui confient de nouvelles responsabilités. Il va sortir avec la serveuse du restaurant où lui et ses amis mangent. Mais quand ceux-ci sont licenciés par le plan de réduction des effectifs, ils vont mettre en place avec Peter une petite combine sur le dos de la compagnie pour rétablir à leur profit le karma.

Cette manipulation arrive bien plus tard dans le film, pourtant elle est de tous les résumés. Elle permet de fixer une ligne directrice, une direction, alors que le métrage est bien plus drôle quand il dresse le portrait d’un monde du travail construit comme un microcosme avec ses règles et ses attentes, et peu importe si elles n’ont guère de sens.

Un univers abêtissant, où l’oubli du respect de la mise en page des mémos devient une petite affaire d’État. Où vous pouvez avoir 8 supérieurs hiérarchiques, aux intentions contraires. Où même le matériel informatique vous en veut.

Tout cela avec un sourire de circonstance, des ordres déguisés, où le harcèlement est insidieux et sournois, à l’image de ce pauvre Milton, fragile et fébrile, licencié depuis plusieurs années sans que personne ne le lui ait jamais dit, un oubli que Bill cherche à rattraper en jouant sur ses nerfs en déménageant sans cesse son bureau. Sans oublier tout le vocabulaire faussement technique, les affirmations mensongères qui plongent les employés dans la plus grande des confusions, qui se sentent pris au piège d’une entreprise sans avoir l’espoir de trouver mieux ailleurs.

Peter le dit bien aux deux conseillers en limogeage qui l’interrogent, que ce ne sont pas ces conditions qui permettent de rendre le monde meilleur et les employés heureux. Mais ce duo, pourtant partie prenante de ce monde du travail absurde, n’y voit que la parole d’un chef, qu’il faut promouvoir, sans remettre en question leurs discours cyniques.

Si Ron Livingston dans le rôle de Peter Gibbons est un peu fade, alors qu’il aurait fallu appuyer le jeu de l’ « ancien » et du « nouveau » Peter, un certain nombre d’acteurs font des étincelles. Jennifer Aniston en serveuse permet de régler quelques comptes à la restauration, qui en prend aussi pour son grade. Mais dans le petit monde d’Initech, il y a surtout Gary Cole en chef manipulateur, faussement empathique, toujours sur le même ton calme, devenu depuis un mème sur Internet avec sa célèbre tasse à café et ses répliques, et Stephen Root, en Milton dédaigné par les uns et oublié par les autres, hilarante petite boule névrotique prête à exploser. Les deux Bill, conseillers en dégraissages, sont joués par John Mc.Ginley et Paul Wilson et sont épatants.

Le monde du travail et plus particulièrement de ces « office spaces » n’est pas épargné, le film égratigne avec un humour jaune voire noir assez réjouissant. Le scénario de Mike Judge reste tout de même assez anecdotique avec cette combine bricolée qui dirige le film dans une trame un peu plus linéaire. Le montage vu semble oublier quelques scènes avec certaines actions et conséquences qui semblent coupées (les suites du vol quand il est rendu public, comment s’est débrouillé Milton sur la fin, notamment).

Pour élargir le spectre de ce monde du travail bureaucratique un peu vain et absurde, il ne faut pas hésiter à lire l’excellent série de comic-strips Dilbert par Scott Adams, et bien sûr l’excellente série The Office (UK ou US).


SimplySmackkk
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le 15 nov. 2022

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