Premier plan. Une femme lambda, de dos, regarde la mer, elle semble impassible, inerte, presque sans vie. On pourrait croire à du Sautet. Puis la caméra se rapproche cette femme se tourne vers elle de trois quart. Et là c'est la choc, un fantôme d'amour du cinéma passé semble revenu. Romy Schneider. Cette femme magnifique, cette actrice sensationnelle reprend vie sous les traits de Marie Bäumer (éblouissante) qui d'attitudes, du sourire, du phrasé, de ce front large, de cette incroyable classe va la faire revivre, non pour un biopic, mais plutôt quelques instants de vie à Quiberon où elle accepta de donner une interview fleuve au journal "Stern" en février 1981.


A ce moment là du film, je m'interroge. J'ai beaucoup hésité avant de le voir. J'avais vu il y a quelques années un reportage sur cette interview, était-ce à "Cinéma, Cinémas" ou une autre émission ciné je ne sais plus dire. Mais déjà à l'époque, le commentateur décrivait ces journées à Quiberon comme totalement folles, l'actrice apparaissait diminuée, empreinte de mélancolie ou saisie d'une vitalité soudaine mais surtout terriblement vieillie, alors même que les plus grands drames qu'elle allait vivre appartenait encore au futur… Il suffit pour cela de regarder les photos du photographe Robert Lebeck prises lors de ce séjour.


Avais-je vraiment envie de la voir ainsi ? Finalement, l'approche esthétique de l'oeuvre, notamment l'utilisation de ce noir et blanc très élégant, et les premières scènes dont l'arrivée de son amie (excellente Birgit Minichmayr), du journaliste Michael Jürgs, de Lebeck (qu'elle connaissait intimement) suscitent l'intérêt et très vite un certain respect. Car Emily Atef va bien au-delà du simple reflet people, de la dramaturgie de l'instant, elle cherche dans les moments de profonde apathie comme dans les moments d'euphorie, le femme passionnée, envoûtante et humaine qui fait que 36 après sa mort, l'écho de sa carrière et celui de sa vie résonnent encore dans le cœur de bien des cinéphiles. Atef filme une femme en crise qui entrée dans la quarantaine évalue son parcours chaotique (succès précoce, vie sentimentale ratée, peur de la solitude à l'avenir, la vieillesse…). Atef filme aussi une femme qui se bat et garde espoir, une femme qui comme l'hirondelle des mers bondit avec fougue de rochers en rochers, vindicative, libre !


La mise en scène sobre correspond parfaitement à l'intimité de ces scènes et les quelques éléments ajoutés (l'amie, certaines questions…) apportent une dynamique non négligeable à l'ensemble. Dynamique accentuée également par le séquençage entre les parties on et off de l'interview (avec cette scène incroyable dans le bar avec notamment un Denis Lavant ébouriffant,
ou encore la fin). L'oeil de Jürgs (Charly Hübner très profond) en dit long également… Il arrive pétri de ses convictions sur la Star enfant gâtée qui a cassé tous ses jouets, et se laisse submerger petit à petit par une empathie salutaire, comprenant que personne n'est à l'abri ni de la vie, ni dans la vie…


Le tout fonctionne à merveille même si quelques redites de situations viennent parfois alourdir le film. Contrairement à ce qu'en disent ses détracteurs (qui n'ont pas vu le film la plupart du temps !), "3 jours à Quiberon" est une oeuvre somme toute assez pudique, rempli d'affection pour l'actrice et pleine de décence. Une oeuvre à classer parmi les films rares qui évoquent un envers du décor qui n'est pas toujours très rutilant. De "Sunset Boulevard" à "Vie privée" ou encore à "L'important c'est d'aimer", le vedettariat est parfois lourd à porter dans la faste ou dans les frasques…


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Extrait de "Mon cahier des cinémas" (mes chroniques d'alors rédigées sur des cahiers d'écolier) du 29 mai 1982 :



Samedi matin 11h. Fin des cours. Mon père vient me chercher au lycée. A peine monté dans la voiture il m'annonce "Romy Schneider est morte". Incrédule je me rends à l'évidence quand la radio en fond sonore relaie l'information. Probable suicide. Le coup est rude, l'émotion trop forte elle qui semblait être revenue à la vie. Impossible, incompréhensible, terrible. Figés à jamais ce sourire unique, cet accent adorable, cette beauté inclassable, cette élégance d'être. Profonde tristesse. Désormais, dans mon cœur de cinéphile restera les souvenirs qui, comme elle le disait "sont les meilleures choses de la vie".


Fritz_Langueur
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le 27 juin 2018

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Fritz Langueur

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