6 Underground
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6 Underground

Film de Michael Bay (2019)

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6 Unterground est un film de fantômes qui tirent et disparaissent plus vite que leur ombre, sautent d’un immeuble inondé par l’eau de la piscine extérieure pour atterrir sur une grue de chantier, mettent à mort la dictature afin de rétablir la démocratie. God Bless America, même si l’Amérique file des portables pourris qui perdent leur puce ultra facilement. Michael Bay aux commandes, et les doigts d’honneur lancés à tout bout de champ semblent être les siens. Des explosions, des caisses rutilantes, des formes érotisées, une mitraillette de punchlines. D’accord, what else ? Un propos, n’oublions pas. Comme dans les œuvres les plus personnelles et abouties du cinéaste.


Car son film prend un malin plaisir à mettre en pièces : la réalité dont il se saisit est friable, un portable fracassé sur le sol du bateau, un œil arraché qui sert de clef au déverrouillage d’un compte, une radio balancée par la fenêtre au son des Space Girls. Le monde s’éparpille, Napoléon est à Abou Dhabi, le Louvre avec lui. Dans la voiture, on entend de l’espagnol, du français, de l’américain, de l’italien aussi. 6 Unterground est une œuvre qui épouse par sa structure-même la mondialisation dans laquelle s’engouffre son récit : les temporalités s’enchâssent, les lieux se succèdent, et le spectateur, au milieu de cette zone de combat qu’est le film, essaie de recoller les morceaux. Il ne peut compter que sur une seule unité stable : les six personnages principaux, rassemblés en une vaste famille aussi chaleureuse que crédible, et fort bien campée par ses acteurs. Leur action trouve une légitimité dans ce refus énoncé en début de long-métrage de rester passif devant les horreurs de notre monde ; la vendetta devient alors sauvetage du bien et condamnation du mal que l’on vide de son sang.


En conjuguant les nationalités, Bay évite le patriotisme grandiloquent – qui reste présent dans l’ADN de son œuvre, mais porte sa vision de l’héroïsme davantage que l’étendard d'un pays en particulier – et brosse le portrait d’une association interétatique. Oui, c’est peut-être ça, après tout, le projet politique de Bay : associer les grandes puissances complémentaires, lutter contre l’oppresseur, rétablir la paix. Et le film prêche un interventionnisme à peine dissimulé. Néanmoins, le cinéaste ne saurait croire en sa fantaisie, et pense aussitôt la distance par le prisme de la brigade-fantôme : nos héros sont des revenants qui ont quitté leur existence antérieure pour renaître. Plus de mariage, plus d’emprunts bancaires, plus de chaînes. Ils sont libres, et veulent partager leur liberté avec autrui. Les fantômes « font le sale boulot des vivants », affirme l’un d’entre eux. Ce faisant, ils n’appartiennent plus au monde qu’ils défendent, oscillent entre la vie et la mort. La seule visite que s’autorise Trois, c’est à sa mère souffrant de pertes de mémoire.


Dès lors, si la distance permet à Bay de justifier son spectaculaire, de baser son récit sur des personnages spectraux qui prouvent que le rêve américain, déjà dézingué par Pain & Gain, ne saurait s’accomplir que dans la mort, elle diffuse également une angoisse vitale devant la disparition et l’oubli. Devant la solitude, enfin. A Ghost Story faisait communiquer la veuve avec son défunt compagnon par le biais de petits messages dans le mur du salon. 6 Unterground explose les cloisons, brise les os, hurle ses insultes aux visages des méchants, mais, au fond, dit la même chose. Il n’y a rien de pire que d’être seul au monde. Comme un père qui retrouve son fils sans savoir si celui-ci l’a reconnu, s’il a pu dépasser les années d’absence et se relier au passé. La liberté, toujours la liberté, oui mais à quel prix ? Faut-il rechercher la liberté pure, celle qui délie les êtres, endeuille les familles, à l’image du dictateur pourchassé sans relâche ?


Derrière l’avalanche de scènes d’action flamboyantes, Michael Bay déconstruit une nouvelle fois le système qu’il semble conforter. Car réunis au sein d’une famille, les spectres cessent d’être des ombres, quittent la numérotation qui les définit pour se raboucher à leur nom et aux vies qu’ils détiennent. Leur corps n’est plus troué de balle, il ne faut plus les opérer à l’arrière de la voiture ; non, le revolver est lancé au loin, tombe dans l’eau, et la balle reste intacte entre les doigts du justicier bien décidé à redémarrer son existence. Les différents épisodes qu’un montage incisif et épileptique disloquait les uns des autres tendent à se raccommoder entre eux. 6 Unterground tire de terre les morts-vivants. Ils quittent la famille d’armes et marchent vers leur vraie famille, celle dont ils ont hérité et qu’ils ont prolongée, la seule qui vaille.

Fêtons_le_cinéma
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le 17 déc. 2019

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