La vie n'est qu'un souvenir au présent

Le minimalisme du concept d' A ghost story laisse penser qu'il est simple à appréhender. Il n'en est rien, tant cette singulière proposition contemplative, expérimentale, pas toujours réussite mais jusqu'au boutiste s'impose comme un bloc de cinéma. Simple mais jamais simpliste, A ghost story sait être tour à tour terrifiant (j'ai peur des fantômes !), bouleversant, métaphysique, pourquoi pas hilarant. Son ambition de raconter l'expérience de l'oubli, cet instant où l'on disparaît des mémoires, est démesurée. Le résultat, intime et lyrique, ne laisse pas indifférent.
Si la mort au cinéma est souvent un ressort dramatique de dernier acte particulièrement efficace (on t'aimait Luke...woops SPOILER) et qu'elle est l'apanage des rôles secondaires, A ghost story la délivre sans souffle sur le coin de la gueule du protagoniste dès le début. Une sorte d'anti mise en scène qui rend le début assez mal aimable : la distance prise avec ces coquilles vides riches mais pas trop qui vivent de musique et d'amour pique un peu. Les larmes d'une Rooney Mara en sous jeu semblent bien froides tant on a peu d'intérêt pour elle. Idem pour Casey Affleck, banal drap blanc benêt au regard bêta (Affleck qui, sous forme humaine, c't'à dire avec un visage, une voix et tout, joue moins bien, notons le). Pourtant, il y a une fascination soudaine qui nous prend pour cette tarte.
Cette foutue tarte en plan séquence, ce cadre immobile et restreint (en forme de vignette de vieux film de famille) qui nous montre une entité (le fantôme) regarder une femme noyer son deuil muet dans la bouffe.
On reprend alors ses esprits : on étions nous ces deux dernières minutes ? A ghost story étire tant ses plans que l'intérêt s'y noie, que le film se désincarne. Mais ne battez pas trop des cils : le moindre cut, entre deux plans et parfois l'occasion de bond dans le temps phénoménaux. Et là, soudain, la mécanique se met en place.
Le réalisateur David Lowery anihile la dimension filmique de son oeuvre pour la transformer en expérience contemplative stylisée, pour brutalement, au détour d'une coupe, d'un mouvement de caméra, d'un effet spécial où pratique, d'une mélodie mélancolique (signé Daniel "découvrez son groupe Dark Rooms c'est pas mal du tout" Hart) ramener au présent, à cette réalité cinématographique : par ce procédé, Lowery nous rappelle combien l'essentiel, censément invisible au yeux, à lentement délaissés nos coeurs pour se fondre dans une affreuse "aréalité", dans laquelle plus aucun vivant ne saisis l'importance du temps qu'il passe avec les autres. Ces sursauts de cinéma ramènent la vie et les émotions avec passions et force émotions (la vision cauchemardesque du bureau en construction, un grand moment). A ghost story dépasse alors largement le cadre de la tragédie personnelle et se mue en grand film élégiaque sur le déroulement fatal et innarêtable du temps, voleur et assassin insaisissable. Et quoi de mieux pour relancer la vie qu'un mort ?
Cette page littéralement blanche qu'est ce drap immaculé (au début) se fait alors puissant outil de projection. Ce revenant, c'est les questions métaphysiques de l'héritage, de la trace que l'on laisse après sa mort qui bouffe chaque humains sur cette planète. Un questionnement universel qui permet une fascination d'autant plus direct pour les réponses proposées : jamais définitif, A ghost story multiplie les thèmes et les sous entendus liés à l'oubli (des valeurs, des fondations de la civilisations, de l'éthique...) Tant et si bien que l'on peut dire qu'il y a autant d'intérprétation possible que d'intérprètes, le monceau sensoriel qu'est le film offrant un visionnage unique à chacun.
L'idée de génie ultime reste peut être, outre les analyses techniques, ce que le film offre au premier degré : une errance tantôt bruyante, tantôt silencieuse sur les ruines de ce qui fut autrefois un foyer, une famille. Une errance sans but à laquelle se greffe un fantôme sans pouvoir. Oui c'est un peu chiant par moment, mais c'est le parti pris de ce film sablier, qui tourne et retourne en tout sens le monde des disparus pour sonder celui des vivants. Jusqu'à la disparition des premiers. Déroutant.

JeVendsDuSavon
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films sur le voyage temporel

Créée

le 23 déc. 2017

Critique lue 379 fois

4 j'aime

1 commentaire

JeVendsDuSavon

Écrit par

Critique lue 379 fois

4
1

D'autres avis sur A Ghost Story

A Ghost Story
Velvetman
7

Death Note

Après la vie, l’amour, vient le deuil. Avec l’incroyable A Ghost Story, David Lowery tente de chercher cette petite étincelle d’humanité qui survit après notre mort, à travers la tristesse de...

le 21 déc. 2017

134 j'aime

8

A Ghost Story
Behind_the_Mask
8

Ce qui reste

Un simple drap pour raconter une histoire de fantôme. Comme si nous étions revenus à l'âge de l'enfance. Mais une histoire comme aucune autre. C'est une histoire sur ce qui reste. Comme la lumière...

le 10 janv. 2018

133 j'aime

11

A Ghost Story
Alicia_87
9

Ghost in translation

Présenté en compétition du festival américain de Deauville 2017, « A Ghost story » est un film qui transcende. De portée universelle et cosmique, ce film offre une réflexion poétique sur la vie :...

le 6 sept. 2017

77 j'aime

10

Du même critique

Logan
JeVendsDuSavon
9

Lame en peine

1999. Le genre super héroïque, jusqu'ici raillé et catalogué stupide et régressif, connaît un tournant décisif. X-Men de Bryan Singer cartonne et le public suit : effets spéciaux, acteurs, scénario,...

le 4 mars 2017

7 j'aime

7

From Her to Eternity
JeVendsDuSavon
8

Creuser, creuser, creuser...

Nick Cave est un très bel artiste pour moi, il nourrit mon imaginaire et me pousse à avancer dans mes ambitions propres. Après des expériences punks avec The birthday party, une énergie qu'il va...

le 3 juin 2020

6 j'aime

3

The Firstborn Is Dead
JeVendsDuSavon
8

Déployer son zèle

"Le premier née est mort", qu'il dit. Noire, trop noire, la pente descendante vers les abysses de l'âme. Tout décaper, même les couleurs volées sur la pochette sans nom, c'est le programme du second...

le 5 juin 2020

5 j'aime

4