Psychanalyse freudienne à 4,35 milliards de kilomètres

Après séance – Vu le 19/09 (J2)


C’est tellement cool la science-fiction… C’est sans doute mon genre cinématographique préféré, parce qu’il est très souple et permet ainsi d’accoucher d’œuvres hétéroclites. Rien qu’en prenant l’exemple du voyage spatial (qui n’est qu’une branche de la science-fiction parmi tant d’autres), des réalisateurs talentueux ont été capables de nous proposer un huis clos horrifique comme Alien, une quête philosophique et religieuse dans Sunshine, une mission de survie angoissante de réalisme comme Gravity, une vision humaine et intimiste de la plus grande mission spatiale de notre civilisation dans First Man, ou un pseudo trip métaphysique assommant et froid tel que 2001, l’Odyssée de l’espace.


Et voilà que la famille s’agrandit avec Ad Astra, probablement le petit dernier de cette décennie. Réalisé par James Gray, le film se concentre sur Roy McBride (Brad Pitt), opérateur d’un télescope gigantesque frappé par des surcharges d’énergie venues de Neptune. Ces surcharges pourraient être causées par les rescapés du Projet LIMA, pourtant déclarés disparus il y a plus de seize ans. Cette ancienne mission visant à établir une base sur la géante de glace à la recherche d’une vie extraterrestre n’avait autre qu’à sa tête le docteur Clifford McBride (Tommy Lee Jones), paternel de Roy. Ce dernier va alors tenter de sauver à la fois sa relation avec son père et le destin de l’humanité.



SUR LE FOND : 5,5 étoiles



Comme souvent, et comme dans la plupart des œuvres précédemment citées, le contexte spatial n’est qu’un prétexte afin d’aborder d’autres sujets plus terre à terre. Dans Ad Astra, deux thématiques principales vont se partager notre attention : la solitude de l’h(H)omme, et la relation père/fils. Le rapport filial semblerait d’ailleurs être omniprésent au sein de la filmographie de James Gray, l’emploi du conditionnel traduisant ma méconnaissance en la matière. Ici, le réalisateur transpose le complexe d’Œdipe à une mission interplanétaire, ou plutôt au dépit de la mission interplanétaire. Car à mon sens, le secret d’une œuvre de SF réussie est l’équilibre entre la surface et le fond, entre l’intrigue et le message, l’équilibre entre les différentes grilles de lecture du film. Ne traitez que la surface et vous n’aurez qu’un film de divertissement sans profondeur, ne traitez que le message et vous aurez un trip mind-blowing incompréhensible. Et puis, il y a Ad Astra pour lequel James Gray a probablement eu de bonnes intentions, mais pas une bonne exécution. L’ensemble des éléments d’intrigue sont sous-développés, la cohérence est bâclée, le tout sonne faux et creux parce que les choses ont été superficiellement disposées pour apporter le propos souhaité. A force de trop vouloir servir son message, le film oublie complètement son sujet spatial, ses enjeux et son aboutissement.



I am feeling good, ready to do my job to the best of my abilities.



Ad Astra n’est pas un film très à cheval sur la physique, malgré l’aspect ultra réaliste souhaité par son réalisateur. C’est d’ailleurs cette ambivalence qui crée le trouble, cet entre-deux (entre un film visant la crédibilité absolue comme First Man, et un autre installant complètement son univers en s’affranchissant totalement de notre réalité comme Star Wars par exemple). Car dès la scène introductive sur l’antenne géante, lorsque le levier à abaisser d’urgence se retrouve en plein milieu de nul-part dans le vide, tu comprends assez vite qu’il ne va pas falloir chipoter sur la crédibilité du truc… Même si au passage, la scène en question nous offre un magnifique plan vu du dessus sur Brad Pitt descendant une échelle avec le plancher des vaches plusieurs dizaines de kilomètres plus bas. Alors oui, cela permet une bonne « scène d’action », probablement imposée par les studios hollywoodiens afin d’être exploitée dans une bande annonce attirant le chaland, mais c’est tout. Et au vu de la rareté de ces scènes pouvant être qualifiées « d’action » ou « de tension », il y a moyen que je ne sois pas très loin de la vérité.


De la même manière, tous les éléments ne servant pas le message du film (la relation père/fils, suivez un peu), seront sous-développés. Ainsi, la menace que représente the Surge (la surcharge) n’est absolument pas représentée, excepté quelques images TV de lampadaires qui claquent, un bref chiffre d’incidents ou de morts et un « All life would be destroyed » qu’il va falloir croire sur parole. Pourquoi ? Parce que si l’enjeu planétaire est trop mis en avant, la quête paternelle de Roy McBride devient dérisoire. Aucune scène de catastrophe, rien qui pourrait nous rappeler que le but premier de la mission est de SAUVER L’HUMANITÉ. Et à force de ranger l’enjeu du film au placard, bah on finit par se demander si tout cela vaut réellement le coup. C’est vraiment grave les surcharges ? Il n’y a vraiment aucun autre moyen de les arrêter ? Il faut vraiment que ce soit Roy qui s’en charge ? Et quand bien même, il n’aurait pas pu enregistrer son message pepouze sur Terre ? Ils l’auraient ensuite transmis à la base martienne qui l’aurait envoyé et aurait obtenu le même résultat. Non, c’est Roy qui doit le faire. Et il doit le faire tout seul. Pas pour la survie de notre espèce, non. Pour retrouver son papa.


Le faire TOUT SEUL, c’est important aussi. La solitude semble en effet être le second sujet d’Ad Astra. Du coup, ne vous attachez pas trop aux personnages secondaires… Ils ne sont que des prétextes pour faire avancer Roy dans un scénario mal ficelé, et ils disparaitront aussitôt leur œuvre achevée.


A coup de pirates lunaires sans revendication, de pseudo malaise cardiaque ou pire, à coup de singes spatiaux mutants…


C’est le cas du Colonel Pruitt (Donald Sutherland) qui n’a pas d’autre intérêt que de filer un fichier à Roy, de Helen Lantos (Ruth Negga) qui apparait uniquement pour aider Roy à s’introduire dans le vaisseau allant vers Neptune (et ce, malgré un background légèrement plus développé même s’il semble sortir de nulle part) et de tous les autres militaires /astronautes que l’on voit généralement pas plus d’une scène avant qu’ils ne meurent bêtement. Il reste alors Eve McBride (Liv Tyler) qui fait de la pure figuration en nourrissant quelques flashbacks durant le film, avant de réapparaitre comme une fleur à la fin pour que le spectateur puisse bien comprendre la progression du personnage principal. Il est toujours certain de la mort de son père, mais au moins, il a récupéré sa meuf…


Bref, aucun intérêt dans les personnages secondaires. Moins on les voit, mieux on se porte. Cela permet à James Gray de traiter la solitude de son personnage principal, son désespoir, sa mélancolie. Mais aussi, et peut-être surtout, la solitude du docteur Clifford McBride, père de Roy. Seul dans un vaisseau spatial dérivant autour de Neptune depuis une quinzaine d’années, Clifford est à la frontière de la folie. Moi, ce qui m’a rendu fou, c’est la pelleté de questions qui colle aux basques du personnage : Comment se nourrit-il ? Comment renouvelle-t-il son oxygène ? N’est-ce pas plutôt pour rationner ses vivres qu’il a tué tout le reste de l’équipage ? Et surtout :


Pourquoi survivre seize ans pour finalement vouloir dériver dans l’espace à la venue de son fils ? Il ne pouvait pas le faire avant ?


Là encore, assez peu de réflexion sur la logique scénaristique, sur la cohérence narrative. Il fallait juste que le père soit vivant, afin de mieux mourir devant les yeux de son fils. Point. Tommy Lee Jones en astronaute permet tout de même à James Gray de réutiliser des clichés de l’acteur en combinaison datant réellement d’une quinzaine d’année puisqu’ils sont issus du film Space Cowboys. Ça, c’est assez cocasse. Surtout qu’on retrouve aussi Donald Sutherland et Loren Dean qui étaient également à l’affiche du film de Clint Eastwood.



The world awaits our discovery, my son.



La solitude des hommes, mais surtout la solitude de l’Homme avec un grand H. Et là, je ne peux que relever l’originalité de la réflexion de James Gray qui, en parcourant la pléthore de film de science-fiction où les humains trouvent une forme de vie extra-terrestre, s’est dit : Et si en fait, il n’y avait rien ? Les terriens sont seuls dans l’univers tels les McBride dans leur vaisseau. Un nihilisme déprimant…



SUR LA FORME : 7 étoiles



Révélé en mai 2016 durant le festival de Cannes, Ad Astra trouve rapidement son acteur principal. Et si j’ai volontairement omis Brad Pitt dans la partie FOND, c’est parce qu’il va me permettre d’aborder quelques techniques narratives utilisées par James Gray pour poser l’ambiance de son œuvre. Il faut dire que le film ne repose que sur la prestation de Brad Pitt, tant les autres personnages sont ultra-secondaires. Et quelle prestation ! L’année 2019 est décidément un très bon cru pour Brad Pitt qui avait déjà brillé dans Once upon a time… in Hollywood. Une belle année pour quelqu’un qui souhaite s’éloigner des studios de cinéma et privilégier l’aménagement paysager ! Ici, il campe un personnage très intériorisé, calme, froid, presque robotique à la manière d’un Ryan Gosling. D’ailleurs, avec ce personnage stoïque et professionnel, et le contexte spatial, difficile de ne pas faire le rapprochement avec le très récent First Man.


Bref, l’omniprésence de Brad Pitt nous contraint à ne suivre que son point de vue afin d’aborder la mission comme un parcours initiatique avec une approche très intimiste. Ça sera notamment accentuer par l’utilisation d’une voix off à quasi toutes les scènes (et Brad Pitt, quelle voix…) et de plusieurs plans en POV shot. Grâce à ces procédés, le spectateur devient Roy McBride, entend ses pensées, vit ses souvenirs, et voit à travers ses yeux. Mais ce retour répété aux flashbacks installe également un faux-rythme qui semble allonger les 2h04 de film. Omniprésence devant la caméra mais également autour puisqu’Ad Astra est produit par la société PLAN B appartenant à Brad Pitt et déjà derrière de nombreuses petites pépites comme Moonlight ou Vice (entre beaucoup d’autres). Brad Pitt, partout. Jusqu’à dans l’écran-titre du film, subtilement dissimulé dans une diffraction de lumière.



The earth put its hopes in him, and now its fate is on me.



Visuellement, le film est très beau mais pas nouveau. Hoyte van Hoytema est à la photographie, la raison pour laquelle on retrouve quelques plans rappelant Interstellar. La plupart des décors sont naturels, mais comme la Lune et Mars sont filmés dans des sous-sols minimalistes, ce n’est pas franchement compliqué. A l’exception de la course poursuite de Moon Rovers tournée dans le désert de Mojave. C’est d’ailleurs probablement l’unique scène d’action vraiment frappante d’Ad Astra. Une sorte de Mad Max : Fury Road, mais à 30 km/h et avec une pesanteur six fois moindre que sur Terre… Et il n’y a pas de mec chelou en train de jouer de la gratt/lance-flamme sur le capot, donc c’est sûr que ça impacte moins ! Mais pour revenir sur les autres décors, les lieux ne sont identifiés que par des colorimétries différentes. Quelque chose de très subtil et novateur hein, comme du bleu pour les flashbacks sur Terre et une photo rouge/orange pour Mars. Cela fait de belles images, mais malheureusement, encore une fois, ces choix n’ont qu’un but purement fonctionnel.


Sur Mars par exemple, Roy et Helen échangent à un moment donné dans une salle à la lumière monochromatique vacillante du jaune à l’orange, en passant par le taupe, le rouge etc. Alors ça fait une image magnifique, un véritable poster, mais concrètement ce genre de lumière n’a aucune raison d’exister dans la réalité diégétique du film. Cela n’a aucun sens, ce n’est présent que pour faire une bonne image.


Malgré ce côté très superficiel, je me réjouis de la sortie de films comme Ad Astra car ils étoffent une catégorie d’œuvres que l’on pourrait qualifier de « blockbusters d’auteur ». Des films avec un budget intéressant (87 millions pour Ad Astra), mais qui ne sont pas aseptisés, qui gardent une relative patte créative. Relative, car globalement la réalisation de James Gray est plutôt discrète. Pas de mouvement de caméra ou de plan tape à l’œil, une certaine sobriété dans les effets spéciaux, et une BO minimaliste et lancinante à l’instar de ce que pond Hans Zimmer sur 80% des grosses productions. Il n’y a qu’à prendre la reprise de Moonlight Sonata de Beethoven par Hidden Citizens qui, malgré son incontestable beauté, sonne comme n’importe quelle musique de film d’action contemporain. A tel point que j’étais convaincu de l’avoir déjà entendu dans un Star Trek ou dans une production Marvel Studios. Max Richter a en réalité davantage joué sur le sound design, et notamment sur les silences, pour accentuer un peu plus notre immersion.


Officieusement présenté comme la rencontre entre 2001, l’Odyssée de l’espace et Apocalypse Now, Ad Astra n’égale évidemment pas ses ainés. On ressent d’ailleurs davantage l’influence du film de Francis Ford Coppola puisqu’on retrouve un personnage en quête dans un milieu hostile à la recherche d’une cible à éliminer. La relation entre les deux métrages semble s’expliquer par leur inspiration commune : la nouvelle Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. On y retrouve à chaque fois la quête (la quête de soi par la quête du père dans Ad Astra) et la déshumanisation au cours de cette quête. Ad Astra questionne en effet l’humanité, sur le fait de se sentir humain au sein des humains. Mais à trop vouloir proposer une psychanalyse mélancolique, James Gray a peut-être délaissé les autres composantes de son œuvre, l’a rendant superficielle.


Bonus acteur : NON


Si Brad Pitt a l’Oscar, ça sera pour sa superbe prestation dans Once upon a time… in Hollywood. Pas pour sa copie de Ryan Gosling, boudé de toutes les compétitions l’an dernier.


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 6 étoiles


Créée

le 22 sept. 2019

Critique lue 717 fois

Spockyface

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