Le film s’ouvre sur une chute, celle d’un fils abandonné par son père et dont la mission à venir consiste justement à se mettre en route, à partir à sa recherche, vers les étoiles. Le trajet effectué par le personnage de Roy est d’essence christique, ou plutôt contre-christique puisqu’il s’agit, à terme, non de se sacrifier au nom de l’humaine condition, mais de se soumettre au statut de père. Dans ce monde dépourvu de Dieu où les astronautes prient néanmoins pour couvrir leur mission d’une protection supérieure, Roy se réfugie dans un long soliloque, s’entretient avec la seule divinité qui lui soit accessible, lui-même. En mettant à mort le père, en le laissant disparaître du champ de vision, englouti par l’immensité de l’univers, il fait le deuil d’une souffrance qui aussitôt renaît sous une forme différente, telle une passation de flambeau : l’absence du père doit être comblée, et le fils deviendra à son tour père vivant, aimant et soumettant. Aussi cyclique et froide que les environnements confinés dans lesquels évoluent les protagonistes, la vision que propose James Gray du genre humain se revendique d’un fatalisme à fleur de peau qui bouleverse et prend au corps.


Ad Astra est un drame organique qui n’est composé que de nerfs curieusement privés de réaction sensible : le visage du beau Brad Pitt reste impassible, une larme finit par couler, mais sèche vite. La lassitude règne en maître ici. Les étapes qui scandent la quête de Roy rejouent la descente dans les tréfonds de son intériorité tourmentée et finalement aussi vide que la galaxie : on passe d’une course lunaire contre le temps à une lutte bestiale avec des singes de laboratoire, puis à l’exécution de l’équipage. Le fils marche dans les pas du père, et ne peut rien y faire. Les hommes sont définis comme des « vampires du cosmos », ils projettent dans l’univers leur solitude colonisatrice qui ne peut s’empêcher de restaurer le mal dont elle est porteuse. Il n’y a pas de Faute, par conséquent, dans la mesure où l’humain tout entier s’enracine en elle. « Le fils souffre des péchés de son père », et s’en affranchit à endossant le fardeau à son tour. James Gray réussit à marier l’intime au spectaculaire le plus grandiose, offre une passionnante odyssée spatiale dont on ressort malmené, encore sous le coup des débris stellaires qui vinrent heurter notre héros.


Pourtant, la grandiloquence demeure tenue à l’écart : les courses-poursuites se désagrègent comme le corps de cosmonautes exposés à des gaz mortels, la chute initiale n’est rapportée que par le biais d’une focalisation interne. Ne restent que des poussières d’instants. Les Space Cowboys ont rendu leur dernier souffle. Ne reste que l’homme seul devant son crépuscule.

Fêtons_le_cinéma
9

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le 6 déc. 2019

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