La vie c'est un petit bout de lumière qui finit dans la nuit - Céline (Voyage au bout de la nuit, 1932)




  • La genèse. Histoire(s) et conte, la houle déferlante.


Après des tentatives en vain de m'intéresser à son œuvre avec des films comme Le Mépris ou A bout de souffle, qui m'avait laissé un goût de somnolence résonner en bouche, un Pierrot qui m'avait laissé stoïque avec son image sublime et ses thèmes palpitants noyés dans l'histoire barbante d'un road-movie d'été, j'étais complètement refroidi, et ma carapace devenait davantage hermétique.
Autant le dire, qu'après cette traversée filmique glaciale, j'ai été facilement amené à me ranger du côté des détracteurs assimilant l'homme à un vieux papy qui vomit de l'excrément aussi bien dans ses films que dans ses paroles publiques. Faquin.
Mais en tant que sadomasochiste invétéré, je souhaitai rapidement continuer mon supplice, peut-être que j'avais l'espoir de nourrir mon agressivité notoire envers le cinéaste avec de nouveaux coups de fouet dans le dos. Motivé tel un loup prêt à prendre dans sa gueule sa proie, je m'attaque à ses court-métrages.
A ma grande déception, mon regard va devenir un peu plus bienveillant envers le travail de cet homme que j'ai longtemps méprisé. Je m'attaque à Opération Béton en premier lieu qui me frappera par son sarcasme grinçant et par la qualité des images et du message. Après m'être pris une belle gifle dans mon faciès avec Je vous salue Sarajevo, je décide de plonger dans la forêt interdite ; souvent incomparable à ce que je vois d'habitude, je continue mon aventure, j'enchaîne dans le noir du temps jusqu'à l'aube du XXI ème siècle. Bien que les discours restent souvent à la limite d'un nihilisme exacerbé, je reste subjugué par cette narration, par ces images et cette volonté de vraiment partager une vision personnelle d'un monde que nous connaissons si peu.
Dans ce tumulte d'événements, je finis par me retrouver dans une salle obscure face à Adieu au Langage. J'oscille de l'exaspération d'un mouvement transversal descendant et ascendant encéphalique, que beaucoup nomment : « branlette du cerveau », jusqu'à la profonde fascination de ses images pris sur le vif, de cette beauté dégoulinante des couleurs contrastées, contrastée avec les mots gras qui annoncent la mort des paroles d'un humain en perdition.



  • Réincarnation. Inquiétante étrangeté d'un Sigmund, un connu.


Suite à ce long périple, je préfère m'absenter de la vie sauvage et quitter cette jungle brumeuse pour revenir à la civilisation, pour pouvoir contempler avec un regard nouveau ses murs métalliques qui viennent chatouiller les cieux. Je vis un paysage enguirlandé par des câbles électriques suspendus à quelques pieds du sol, des aiguilles phalliques proéminentes marquant le passage de l'humanoïde terrien en quête de nouveaux espaces. Avec des chemins bétonnés et peuplés de bolides aux feux retentissants, la Metropolis de l'ère contemporaine est inquiétante par son grandeur inconnue qui réside dans ces œuvres architecturales. Assis à l'arrière d'une de ses navettes je suis définitivement dans les avenues de Alphaville. Contemplant les astres extérieurs qui viennent éclairer le hublot de ma cabine je suis encore un peu perdu dans ce labyrinthe qui gît dans les limbes d'une civilisation que j'avais jadis connue.
La voix rocailleuse, du grand frère Alpha60 vient frapper mes oreilles, j'approche peu à peu de l'hôtel où je passerai la nuit. Le silence de cette journée noire sera vite comblé par les lumières artificielles des entrailles de l'hôtel. On me présente rapidement les lieux, la main sur la gâchette de mon engin de défense, je grimpe ensuite à bord de l'ascenseur. Les étages s'enchaînent, je peux alors contempler les niveaux depuis la vitre qui me rappellent que je perds de plus en plus pied.
Arrivé à l'étage fatidique, slalomant parmi les couloirs en altitude, une femme au regard vide me mènera alors jusqu’à ma chambre. Résidu d'un individu transformé en objet utilitaire fournissant des services pour des entités mâles, cette femme m'inquiète définitivement. Je rencontrerai d'ailleurs dans ma soirée d'autres étranges entités féminines dont leurs grâces n'est plus qu'un simple souvenir du passé, là où la pompe à orgasmes pleine d'énergie relative est conjuguée à un triste présent. Le silence perturbant règne dans ces viscères, seul la voix robotique domine, laissant derrière elle une traînée de faux semblant et de paraître.
J’abandonne peu à peu cette idée d'éprouver à nouveau des sentiments partagés : ici il ne vit que le vide d'une existence résumée qu'à une simple oscillation cardiaque.



  • La jetée α. Le négatif : Le sombre devient pureté.


Face à cette réalité contre laquelle je peux difficilement lutter je préfère me concentrer à nouveau sur ma mission initiale, neutraliser le scientifique au nom à consonance germanique qui domine cette cité.
Dès lors, les milices locales, de ce ghetto moderne vont brusquement me tomber dessus, m'enlaçant en espérant me priver de mon jugement et de ma liberté de choix. Multipliant les questions, sous la menace des micros et caméras, orchestrées par des humains mécaniques, je ne céderai pas et j'accomplirai ma tache avec succès.
Je reste optimiste face à cet obscure présent. Peut-être que mon élan Marxiste me maintient motivé face à cette violence omniprésente qui j'espère aboutira à une stabilité plus plaisante. Là où les sentiments et l'amour ont disparu, je vis encore un enfant pleurer téter au sein de ces décombres matérielles et humaines. Peut-être sera-t-il par la suite le porteur du flambeau d'une ère meilleure ?
Après avoir traversé un couloir infini de portes enlaçant des salles occupées par le néant, j'échappe de peu à la mort. Je constate une dernière fois avec antipathie le regard de ces machines lobotomisées accomplissant leur destin dicté par la force d'un système plus grand qu'eux.
Les spots lumineux autrefois nets, commence à scintiller, donnant ainsi un souffle de vie à cet hôtel. Je contemple les lieux avec sourire en souhaitant que ce désordre et cette violence n'auront pas été inutiles.


Ma mission accomplie, je m'en vais, me disant que le futur n'est plus entre mes mains, je pense que Alphaville aura la force de s'affirmer dans un âge futur.
Les supernovas et illuminations de la ville viennent se refléter à nouveau sur le vaisseau, la douce nostalgie m'envahit.
Peut-être que la maladie de ces pauvres gens s'estompera donnant du sens à ce mot qui peut encore les sauver : Espoir.

ectorlavoisier
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le 19 déc. 2014

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