Avec ses longs cheveux noirs, noir profond, et son beau visage sur lequel on peut lire une détermination qui, jamais, semble ne s’être affaiblie, et que les années ont rendu encore plus beau, on dirait une amazone. L’image d’ailleurs est indiscutable quand on découvre Clara, fière et vraie guerrière, se battant contre un promoteur immobilier qui cherche à racheter son appartement pour faire de son vieil immeuble, l’Aquarius, un énième complexe résidentiel, triste et impersonnel ; cet immeuble posé là, tranquillement, face à l’Atlantique à Recife, au Brésil. Et son sein droit, perdu suite à un cancer quand elle était plus jeune, admet davantage la force et la certitude de cette image. D’une amazone.


Au-delà du combat d’une femme pour garder son appartement (malgré les menaces, les fêtes improvisées et les termites) qui, continuellement, vibre et s’harmonise de sa présence (un hamac, des vinyles, des photos, ce vieux buffet qui en aura tant vu…), Aquarius est un film sur la vie qui passe, bouleversant ses repères, ses idéaux, ses simples bonheurs : la famille, la société, le capitalisme, le sexe, les désirs… Clara (Sonia Braga, magnifique) est dans la vie, en plein dedans, celle de chaque occasion, de chaque imminence, qu’elle danse avec un homme rencontré au bal, s’entoure des siens ou se paye un gigolo. C’est cela que saisi Kleber Mendonça Filho, par raccords temporels ou belles ellipses : les sédiments de l’existence qui construisent sa porosité, ses flux et sa nécessité.


Sa mise en scène, mouvante et généreuse, qu’on dirait parfois «à l’ancienne» (beaucoup de zooms et de panoramiques), offre au film une part d’irréel et d’étrangeté, le plaçant comme en équilibre, constamment, entre rêve et réalité, passé et présent, nostalgie et renouveau, tangible et même fantastique dans ces instants où, soudain, Mendonça opère quelques glissements vers l’étrange, vers l’inquiétant aussi (un gigantesque voile malmené par le vent, le fantôme d’une ancienne servante, une ombre se glissant dans l’appartement…). Sensuel et doux, bercé de nombreuses chansons qui font se souvenir, qui enivrent ou qui apaisent, Aquarius est une ode à ces libertés qui nous façonnent et nous traversent. Et fait retentir, dans ses dernières secondes, la voix solide d’une révolte enfin exprimée, celle d’une femme et de tout un pays.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 2016

Créée

le 30 sept. 2016

Critique lue 604 fois

11 j'aime

2 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 604 fois

11
2

D'autres avis sur Aquarius

Aquarius
EricDebarnot
7

Le front de mer de Boa Viagem

Je fais partie des rares spectateurs français qui ont un rapport particulier avec "Aquarius", voire avec le cinéma de Mendonça Fillho en général. C'est que j'ai habité pendant près de trois ans à...

le 5 oct. 2016

22 j'aime

Aquarius
Sergent_Pepper
6

Mamie fait de la résistance.

Home, sweet home : alors qu’on attend d’elle qu’elle vende son appartement, comme l’on fait tous les résidents de son bloc en bord de mer destiné à la démolition pour un projet flambant neuf, Clara...

le 6 mai 2017

20 j'aime

Aquarius
CableHogue
8

"L'armoire, toute pleine du tumulte muet des souvenirs" (Milosz)

L’ambition d’Aquarius relève d’une double approche, le film se donnant simultanément comme le portrait d’un espace (un appartement situé en bord de mer, à Recife, au Brésil) et d’un corps (Clara,...

le 27 sept. 2016

17 j'aime

4

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

163 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25