Au poste ! par pierrick_D_

Une nuit,dans un commissariat de police,un flic interroge un suspect.Le film d'interrogatoire,sous-genre du polar,a rarement été exploité.Les fleurons du genre sont "Garde à vue",avec son duel Ventura-Serrault,et "Une pure formalité" et son affrontement Depardieu-Polanski.Mais "Au poste!" diffère de ces oeuvres car il s'agit ici d'une comédie.Et pas n'importe laquelle vu qu'elle est écrite et réalisée par Quentin Dupieux,qui signe aussi la photo.Dupieux,c'est l'électron libre de service du cinéma français,le pape de l'étrange,du bizarre,de l'inclassable.Le problème,avec les créateurs de cette trempe,c'est qu'ils ont une fâcheuse tendance à s'enivrer de leur propre virtuosité et qu'ils finissent souvent par tourner à vide en faisant de l'absurde juste pour faire de l'absurde.De ce point de vue,"Au poste!" est un film composite et irrégulier.L'affiche,clairement calquée sur celles des productions René Chateau 70's-80's,fait dans le classicisme rétro-polar,avec un Benoît Poelvoorde en total look Belmondo de la grande époque.Puis la première scène,qui se complait dans le délire démonstratif,style "regardez comme je shoote des trucs originaux et bien barrés",laisse craindre le pire.Mais immédiatement après,on arrive au commissariat et tout s'arrange.Commence alors un face-à-face,ponctuellement troublé par les irruptions d'autres personnages,entre un policier tatillon et raisonneur et un suspect effaré mais patient.Et là,le film décolle vraiment.Dupieux passe au lance-flammes l'absurdité et la bêtise satisfaite de l'administration et de ceux qui la représentent.Tous les personnages,sous l'apparence de la normalité,sont en réalité à moitié dingues et formatés par les procédures rigides et inefficaces de la fonction publique.Car si c'est la police qui est ici en cause,la mentalité exposée pourrait être celle de bien d'autres pans de l'administration.L'auteur aligne ainsi les dialogues brillants,les situations déjantées et les personnages complètement à l'ouest.Tout ceci est irrésistiblement drôle et au-delà des outrances se dessine un portrait de la police beaucoup plus conforme à la vérité que celui qui est dressé dans les séries télévisées.Ici,pas de locaux flambants neufs tout de verre et d'acier,pas de flics aux allures de mannequins,pas d'enquêteurs inspirés qui ont une intuition géniale à la minute.A la place,on nous montre des bureaux tristes et impersonnels et des types crétins et bornés,affligés qui plus est de handicaps physiques hilarants et de tics de langage entêtants.A ce stade,l'histoire est menée bon train entre les saynètes au poste et les flashbacks matérialisant les évènements racontés par Fugain.Parce que le gardé à vue s'appelle Fugain,comme Michel,et il a effectivement l'apparence seventies du chanteur,moustache et cheveux longs.On se marre grave,jusqu'à ce que Dupieux ne puisse plus s'empêcher de faire le malin et de verser dans le surréalisme.Et là,ça dérape.Un peu,au début,avec ces apparitions dans les flashbacks des personnages de flics qui ne pouvaient être dans ces scènes puisqu'elles sont antérieures à l'arrestation de Fugain.Ca passe cependant à peu près,même si ça commence à gâcher la pellicule,mais ça va ensuite s'aggraver.De fait,vers la fin,Quentin passe à la vitesse supérieure.La caméra recule,dévoilant un rideau devant le décor de la salle d'interrogatoire.Le rideau s'ouvre et,révélation,nous sommes dans un théâtre où les spectateurs applaudissent.Eh oui,tout cela n'était qu'une pièce de théâtre,les flics sont des comédiens,c'était pour de rire.Là,le spectateur l'a saumâtre.Ce genre de truc a déjà été employé,avec les mêmes effets désastreux sur le film.Mel Brooks nous faisait le coup dans "Le shérif est en prison",Edouard Baer l'a fait aussi dans "Akoibon",et c'était tout aussi énervant.Parce que ce procédé est particulièrement agaçant en ce qu'il a pour résultat de flinguer la cohérence de l'histoire et de sortir le public d'un film dans lequel il était entré et s'était confortablement installé.Et tout ça pour quoi?Dans quel but,s'il y en a un?Pour nous rappeler qu'il s'agit d'une fiction,au cas où on l'ignorerait?Pour nous signifier que l'art n'est qu'une illusion?Pour affirmer que tout le monde,finalement,joue la comédie,et que la frontière entre réalité et fiction est ténue?Ces lieux communs valaient-ils de se tirer une balle dans le pied?Dommage,car on était partis pour une comédie de très haut niveau.L'intrigue policière est en outre bâclée dans la mesure où il eût été préférable de faire de Fugain,personnage au fort potentiel d'ambigüité,un coupable plutôt qu'un innocent.Les acteurs sont prodigieux.Poelvoorde est comme toujours magistral en abruti sentencieux,et Grégoire Ludig lui fournit une talentueuse réplique en quidam malchanceux au calme imperturbable.Marc Fraize,dans un personnage qui pourrait bien être inspiré de l'acteur flou joué par Robin Williams dans le "Harry dans tous ses états" de Woody Allen,est une révélation de gros calibre.Philippe Duquesne,invariablement impérial,et Anaïs Demoustier,méconnaissable en idiote frisée,complètent agréablement le casting.En somme,on a là un bon film,qui aurait pu être bien meilleur.Mais son réalisateur a voulu trop en faire et s'est un peu loupé,c'est pour ça.