L'histoire est connue. Cinéaste d'origine autrichienne, installé aux États-Unis depuis le mitan des années 30, Otto Preminger devint dix ans plus tard l'un des plus grands réalisateurs de l'âge d'or hollywoodien. Indissociable à ses débuts de la 20th Century Fox, auteur de films noir devenus classiques du genre (Laura en 1944 et Fallen Angel en 1945), Preminger entama au début des années 50 une carrière unique de réalisateur-producteur qui lui offrit, cas extrêmement rare à l'époque, une notable autonomie en marge des grands studios (suscitant de fait l'admiration de la cinéphilie européenne), et des pressions exercées par les ligues morales, à l'image du classique L'Homme au bras d’or (1955) ou l'un des premiers longs métrages de cette période traitant explicitement de la drogue. Dans la foulée de son adaptation pour le cinéma de Porgy and Bess avec Sidney Poitier et Dorothy Dandridge, Preminger réalisait en 1959 Autopsie d'un meurtre avec James Stewart, d'après le roman éponyme de John D. Voelker. Modèle inégalé du film de procès, ce portrait féroce et amer du système judiciaire étasunien reste encore aujourd'hui un classique du genre.


Plus ou moins retiré des affaires, depuis qu'il a quitté son poste d'avocat général, Paul Biegler (James Stewart) occupe son temps à la pêche, joue au piano et plaide de temps en temps pour maintenir à flot son cabinet quelques affaires tels les divorces de "Jane Truc et Jean Fric". Un jour, ce dernier est contacté par Laura Manion (Lee Remick), dont l'époux, le lieutenant Frederick Manion (Ben Gazzara), est jugé pour le meurtre de Barney Quill, qu'il accuse d'avoir violé sa femme. Après avoir mené l'enquête avec son associé Parnell McCarthy (Arthur O'Connell), Biegler constate que Manion ne semble n'avoir aucun souvenir de ses actes, suggérant que celui-ci a tué sous l'emprise d'une "impulsion irrésistible". Biegler va tenter de plaider la folie passagère pour éviter la condamnation de son client…


Tiré du best-seller de John D. Voelker, d'après une authentique affaire criminelle qui, comme le veut la formule, défraya la chronique en 1952, le long métrage porte l'empreinte du talent de Preminger, alors au sommet de son art. Passé maitre dans l'écriture cinématographique, dédaignant les effets de style au profit d'une mise en scène aussi inventive que discrète, le cinéaste signe avec Autopsie d'un meurtre autant un chef d'œuvre de précision qu'un de ses films les plus âpres et une attaque en règle non dissimulée envers le code Hays (qu'il avait débuté en 1953 avec The Moon is Blue et ses dialogues explicites).


De l'enquête policière à la chronique de mœurs, en passant par la rubrique judiciaire, le scénario de Wendell Mayes multiplie, au gré d'une ironie mordante, les jeux de pistes. De ce tableau d'une justice incapable de révéler et de relever la vérité objective, et où la manipulation a finalement plus d'importance que les faits, Preminger montre, non sans humour, les tenants et les aboutissants d'un procès spectacle qui se définit par ses jeux d'influences. Désabusé, le nonchalant Biegler s'oppose avec verve aux représentants du ministère public, dont le carnassier procureur Dancer (George C. Scott), chacun dissimulant ses atouts, dans l'espoir de placer ses meilleures cartes, afin de faire tomber l'adversaire.


Tourné dans une véritable salle d'audience, fidèle dans les grandes lignes au roman originel, Autopsie d'un meurtre, le film, non content d'avoir comme sujet le meurtre et le viol, fut au centre d'une polémique par son utilisation de mots, jamais utilisés depuis l'instauration dudit code. De la question si "le défunt avait eu ou non un orgasme sexuel" à la recherche de "la présence de sperme sur la personne de Mme Frederick Manion", le long métrage fut dans un premier temps victime de la censure. Anecdotique quoique symptomatique du climat de l'époque, l'évocation du slip perdu de Laura Manion occupa également les débats, à la fois dans, le juge regrettant de ne pouvoir trouver un autre terme moins suggestif et dangereux, et en dehors du film.


Enfin, sans surprise, Autopsie d'un meurtre se distingue par sa direction d'acteurs. Salué par un prix d'interprétation à la Mostra de Venise, James Stewart, en avocat désenchanté, s'écartait de ses habituelles compositions d'américain idéal, quitte à froisser son public le plus conservateur. Mieux, d'un rôle dévolu originellement à l'incendiaire Lana Turner, la superbe et débutante Lee Remick répondait à l'animalité froide du jeune Ben Gazzara, George C. Scott jouant quant à lui les trublions.


Ajoutons au besoin le générique de Saul Bass et la musique de Duke Ellington, Autopsie d'un meurtre compte parmi les plus belles réussites d'Otto Preminger et du cinéma classique hollywoodien.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2019/10/autopsie-dun-meurtre-otto-preminger-1959.html

Claire-Magenta
9
Écrit par

Créée

le 12 nov. 2019

Critique lue 200 fois

3 j'aime

Claire Magenta

Écrit par

Critique lue 200 fois

3

D'autres avis sur Autopsie d'un meurtre

Autopsie d'un meurtre
Aurea
9

Duel à la barre

Comme ça fait du bien de retrouver Jimmy, sa longue silhouette dégingandée, son regard clair, sa décontraction et son flegme apparents qui en font l'un de mes acteurs favoris des années 50! Le voilà...

le 9 févr. 2012

106 j'aime

53

Autopsie d'un meurtre
raisin_ver
10

Critique de Autopsie d'un meurtre par raisin_ver

N'allons pas par quatre chemins, les deux heures trente d'Autopsie d'un meurtre défilent à la même vitesse que McCarthy descend une bouteille de scotch. Un thème dur, un viol et un meurtre, un...

le 16 avr. 2011

68 j'aime

10

Autopsie d'un meurtre
guyness
8

Le pro du procès sait.

Les quelques coups de génie de ce film de procès pas comme les autres: 1) la personnalité de l'accusé et de sa femme, suffisamment troubles pour qu'à aucun moment on ne soit convaincu des motifs,...

le 7 mai 2011

67 j'aime

1

Du même critique

Low
Claire-Magenta
10

En direct de RCA

— Si nous sommes réunis aujourd’hui messieurs, c’est pour répondre à une question, non moins cruciale, tout du moins déterminante quant à la crédibilité de notre établissement: comment va -t-on...

le 7 mai 2014

20 j'aime

8

Sextant
Claire-Magenta
9

Critique de Sextant par Claire Magenta

La règle générale voudrait qu'un artiste nouvellement signé sur un label, une major qui plus est, n'enregistre pas en guise de premier disque contractuel son album le plus expérimental. C'est...

le 28 juil. 2014

18 j'aime

Y aura t-il de la neige à Noël ?
Claire-Magenta
8

Critique de Y aura t-il de la neige à Noël ? par Claire Magenta

Prix Louis Delluc 1996, le premier film de Sandrine Veysset, Y'aura t'il de la neige à Noël ?, fit figure d'OFNI lors de sa sortie en décembre de la même année. Produit par Humbert Balsan, ce long...

le 19 déc. 2015

16 j'aime

1