Pensées sur le chemin de la psychée

Une fleur qui aurait poussé sur un sol décrépit, qui grandit et grandit toujours plus malgré la maladie qui la ronge, malgré l'insistance du monde cherchant mais en vain à la déraciner, l'écraser ou bien la brûler constamment. Dès ses premiers instants, Belladonna entre dans le vif de son sujet avec une noirceur exaltée : un jeune couple vient sacrer son union dans la château qui surplombe un petit village mais le seigneur n'approuve pas : il ne célébrera leur amour que s'ils y mettent le prix. Trop pauvres pour satisfaire la cours, les deux amants vont vivre enfer sur enfer pour finalement se défaire et se retrouver tout au long de ce film ultra sensoriel et symbolique à la fois.


Quand on regarde ce genre de film d'animation en 2016, époque à laquelle les anime japonais et les produits Disney-Pixar sont devenus l'image typique de l'animation mondiale, on a une sorte de pincement au cœur très prononcé. De la même façon que le visionnage de films de Yuri Nortstein bouleverse par leur texture même, ou encore le mirifique Takahata de 2015, le fait-main à une envergure, une authenticité et une liberté qui n'a rien à envier à la "perfection" des grands classique des studios d'aujourd'hui. Belladonna est tout simplement magnifique. Dans ses dessins purs, fourmillant de détails mais aussi très dépouillés, tendant vers l’iconique, autant que dans les divers procédés souvent très inventifs et novateurs qui lui permettent de donner vie à des images. Rendre du mouvement à des figures, par tous les moyens, voilà le plus beau sans doute dans ce film unique, fondateur et révolutionnaire.


Les années 60, un chamboulement éthique de tous les côtés au Japon, l'arrivée d'une industrialisation d'une rapidité inouïe, l'influence de l'Europe et des Etats-Unis reconfigurent totalement les contes traditionnels, et c'est une sorte d'ode à la libération, sous tous ses aspects, que le film chante constamment, depuis son générique avec le thème "Jeanne et Jean" - ça se passe en France avant la révolution politique et sociale justement, mais aussi dans la libération sexuelle - il faut voir ses séquences très suggestives de fantasmes érotiques ou encore cette grande orgie vers la fin du film où tout le monde est un maillon d'une chaîne infinie et orgasmique. Une ode poursuivie dans les bas-fonds d'une grande angoisse, d'un mal-être réel serti des cachots et des donjons où les personnages sont enfermés, un désordre et un chaos moral dans cette monarchie qui n'a plus de sens ni d'autorité et tente de combler son vide par un renforcement de sa tyrannie. Enfin, le malheur de la persécution, que l'on soit pauvre, différent ou juste femme, le mot "sorcière" qui revient sans fin. Là encore, le film est très en avance sur son époque, il prône avec un humour, un cynisme assez fort la différence et l'atteinte d'une sorte de grâce élévatrice aux confins de nos pulsions. Mêler les passions intimes qui sont profondes et viscérales avec la grandeur d'un diable à tête de pénis qui ne cesse de grandir et de prendre de l'ascendant, voilà une idée merveilleuse. Libérer l'âme de la Belle dame dans le corps de tous les sujets du royaume quand elle a finie de se consumer, leur prêter sa tête très symbolique, en voilà une plus belle encore.


C'est la Belladonnne qui donne son titre au film, plante toujours au centre de mythes et de contes embrumés, toujours aux racines des fantasmes et de l'inspiration sexuelle. Là plus qu'ici, la musique très psyché et les couleurs violacées des paysages comme des espaces intérieurs sont autant de marques prégnantes d'un univers perdu, et ramené à la vie grâce à la magie du cinéma et de son mouvement, en quelque sorte, on peut déguster le film comme une sorte de redécouverte de l'animation, tant Belladonna sait nous surprendre et nous perturber avec aisance , sans jamais être vulgaire. Il ne simule pas, il est radical dans le trip qu'il nous propose dès les premiers instants, et sans nous perdre complètement dans l'anarchie, il nous offre l'opium idéal où nos obsessions et nos variations personnelles peuvent se peindre à l'image pour y déborder sereinement.


Superbe découverte, avec des musiques inoubliables et une grande émotion de voir pareil film sur grand écran après tant d'années depuis sa conception. Rares sont les films si riches en symboles phalliques et vaginaux et en même temps si gracieux.

Narval
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le 28 juin 2016

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Narval

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