Séverine, une jeune bourgeoise effacée que son éducation a rendu frigide, n'est pas comblée par son mari, Pierre, un jeune médecin beau, intelligent, irréprochable. Elle rumine des fantasmes masochistes dans lesquels son mari l'amène en landau dans la forêt, la fouette et la livre à ses domestiques. Lorsqu'un homme trouble, Husson, qui lui fait des avances, lui donne l'adresse de la maison de Mme Anaïs, elle mène une double-vie. De 2 h à 5 h, elle se fait nommer Belle de jour et fait des passes. Pierre voit, impuissant, Séverine s'éloigner de lui. Cette dernière s'amourache d'un jeune truand ténébreux et fauve, Marcel (P. Clementi), qui trouve son adresse et dessoude son mari. Comblée, Séverine renonce à sa vie dissolue pour s'occuper de Pierre, désormais cloué sur une chaise roulante et muet. Le film suggère qu'elle ne parvient plus à dissocier la réalité de ses fantasmes.

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Le début du film est très efficace, puisque l'on commence d'entrée de jeu par un fantasme de Séverine. Bunuel est très à l'aise dans ces scènes de rêve étranges, qui ne sont jamais annoncées comme telles, et où reviennent ces éléments étranges qui semblent liés à la folie de Séverine : les clochettes de chevaux, les chats, qu'ils soient question d'eux ou que l'on entende leurs miaulements à la fin, et toujours des éléments sadiens. Il y a aussi ces rapides flashbacks de Séverine en jeune communiante, corsetée par son éducation.

Deneuve est évidemment un choix parfait ici, avec sa beauté neutre, vide, sans sublime, dont l'actrice sait ne montrer la sensualité que dans de rares éclairs. Rarement une actrice féminine a su aussi bien ne pas jouer de ses charmes. Les penchants masochistes de Séverine, qui semble jouir quand on lui parle d'un ton directif et brutal, pourraient facilement sombrer dans le ridicule, mais l'actrice saisit parfaitement jusqu'où il faut montrer et jusqu'où il faut dissimuler. Le reste du casting est fort bon : Piccoli en figure de tentateur (réel ou fantasmé ?) ; Jean Sorel en mari parfait, mais trop retenu ; Pierre Clementi est une sorte de Jared Leto qui saurait jouer les durs. Geneviève Page, en tenancière très professionnelle (Mme Anaïs), reçoit ici le rôle de sa carrière.

Petit aparté : Marrant, le vendeur du NY Herald Tribune sur les Champs Elysées... La scène où Marcel, au milieu de la rue, court poursuivit par les policiers mais se fait descendre... Un hommage à "A bout de souffle" ?

Visuellement, en dehors d'une scène de rêve en Camargue (où Deneuve a plus que sa part d'ordure jeté à sa face), le film n'est pas une claque. Il n'utilise d'ailleurs pas de musique non plus. C'est plutôt ascétique de ce point de vue, la plupart des scènes se passant en intérieur (sauf les scènes de landau, sur un grand domaine). Une séquence se détache, car on hésite à la placer parmi les fantasmes : celle où un comte invite Séverine à jouer le rôle de sa fille morte, puis la fait chasser sans ménagement par le majordome.

Tout se joue plutôt au niveau des situations, des attitudes, des dialogues. D'ailleurs, pour ceux qui pensent pouvoir se rincer l'oeil, passez votre chemin. Le défilé des clients est truculent : Roland Blanche en entrepreneur rigolard ; le professeur qui se déguise en valet pour se faire fouetter ; un gros client asiatique étrange. Et enfin les deux truands, le vieux et Marcel.

Un fort bon film, qui explore les zones sombres de la psyché féminine à travers un cas pathologique.
zardoz6704
8
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Créée

le 15 oct. 2014

Modifiée

le 15 oct. 2014

Critique lue 549 fois

2 j'aime

zardoz6704

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