Il y a chez Aronofsky une quête perpétuelle de l'absolu, le désir d'atteindre d'une certaine forme de perfection, l'obsession de repousser sans cesse des limites, de les rattraper, puis de se faire dévorer par elles.
Cette obsession, un peu prétentieuse, gourmande, me plaît. Ca donne de la force un peu grotesque à son cinéma. Tarantino concluait ironiquement son Inglourious Basterds avec le mot « chef d'œuvre », Aronofsky, lui, conclut son film avec le mot « perfection ». Dans les deux cas, on a là un désir ultime, exprimé de façon différente, de deux hommes.
Il y avait la descente aux enfers de Requiem for a Dream, les personnages touchaient le fond et ne pouvaient aller plus bas. Il y avait The Fountain et sa quête de l'amour ultime à travers les âges.
Dans les deux cas le cinéaste regardait les personnages s'enfoncer, se noyer. Son regard était aérienne, un peu divin, comme un chef d'orchestre. Il observait ses marionnettes, s'intéressant davantage à ce qui les anime plutôt qu'à ce qui les remplit, ce qu'elles sont vraiment. Ce qui ne m'a jamais empêché de beaucoup aimer ces films.
Puis viennent The Wrestler et Black Swan. Deux autres trajectoires, deux autres quêtes. Mais son regard sur les personnages n'est plus le même. Avec ces films il est monté sur scène, il colle ses personnages, de plus en plus près, et ne les lâche que dans les ultimes secondes. Comme une libération.
On pourrait voir un miroir inversé entre ces deux films. On y aborde deux personnages complètement opposés mais tout deux animés par la même force, celle d'aller au bout, toujours plus loin, pour mieux se découvrir, s'ouvrir.
A la chute de la carcasse abimée du catcheur répond l'ascension de la frêle et menue danseuse. Les deux ne vivent que pour la scène, la représentation. Aronofsky filmait le catch comme une danse balourde, ici il filme la danse comme une partie de catch élégante. Bouger un corps qui nous fait vivre mais qu'il faut apprendre à maitriser. Le freiner ou le transcender.
Ces deux corps, lorsqu'ils quittent la scène perdent de leur éclat. Ils sont tristes, empruntés. Ce n'est pas là que ça se passe. Ils n'ont pas vraiment de lien avec le hors scène si ce n'est un proche, une fille ou une mère. La présence de la fille tentait de ramener son père catcheur au réel, de le faire redescendre du ring. La mère au contraire, sans doute pour effacer son proche échec, pousse sa fille sur le ring et ne l'a jamais laissé redescendre.
A la fin de The Westler, Rourke avait atteint l'absolu, le sien, celui de revenir une ultime fois sur scène et de s'ériger, comme un homme, en haut des cordes. La danseuse, elle, s'élève une dernière fois sur scène en tant que femme. C'est grâce à ce désir d'atteindre la perfection artistique qu'elle devient femme. Mais c'est également en devenant femme qu'elle parvient à atteindre l'absolu artistique.
Etre femme c'est pouvoir interpréter la reine cygne. Préserver la grâce, la délicatesse, la maitrise du White Swan tout en pouvant aborder la spontanéité, l'érotisme et la fureur du cygne noir.
Nathalie Portman, comme un papillon qui sort de sa chrysalide, apprend à connaitre son corps, sa sexualité, afin d'ouvrir ses ailes et montrer ses belles couleurs. Le rouge sang n'est plus lié à la souffrance mais à la réaction d'un corps qui évolue, une puberté.
Très beau film.