Il était une fois un marginal goguenard vivant dans sa voiture et s'incrustant chez les gens en cas de besoin. Dwight est un asocial mais envers lequel le monde n'est pas hostile, tout au plus hébété et absurde comme lui. La flic le connaît et est très bienveillante à son égard ; il est plutôt quelqu'un qui a décroché et vivote en haillons, sans aucune attente. Mais aujourd'hui il apprend que Wade Cleland, assassin de ses parents deux décennies plus tôt, sort de prison. Il part pour le tuer.

Démarrant comme un film de vengeance atypique dans la forme, Blue Ruin sera plutôt une descente aux enfers. Une fois la revanche accomplie (très rapidement), Dwight ouve une spirale où toutes les parties prenantes seront des victimes. Jeremy Saulnier ne fait pas de cet homme un héros, mais un type quelconque s'invitant sur des plates-bandes qui le dépasse. Ce n'est pas non plus un tueur badass, un idéologue, ni un expert. Par son côté analytique, Blue Ruin évoque Killer Joe, mais il est dépouillé d'extravagances contrairement à lui et va au bout de l'absence de parti-pris conscient formulé par le film coup-de-poing de Friedkin.

L'orientation objectiviste et explicative a un prix. Blue Ruin se noie dans le témoignage. C'est un compte-rendu trop fourni, dont la profusion de détails et de démonstrations minutieuses a autant de sens que remplir une maison vierge de meubles utiles mais sans valeur ajoutée. Malgré la tentative de dépassement revendiquée, Blue Ruin finit par avoir autant d'intérêt que Joe. Contrairement à ce dernier, il a le mérite de préférer la complexité à la grossièreté quand il s'agit de caractériser des personnages et des situations.

L'autre atout de Blue Ruin est formel également : c'est sa photographie picturale, avec ses éclairages naturels et de très belles séquences à la lisière de l'onirisme. Les spectateurs pourront aussi apprécier l'allégorie de la décrépitude du ''home sweet home'' US. Les éléments sont là mais il faudrait forcer l'interprétation, sans quoi elle tourne court. Si le film se veut une énième dénonciation de la facilité à se procurer des armes dans le sud des Etats-Unis, c'est une bonne béquille, mais il est plus raisonnable de ne reconnaître pour contenance à ce Blue Ruin que ce qu'il exprime explicitement – et avec une redoutable insistance.


http://zogarok.wordpress.com/2014/07/16/sorties-du-moment-2014-3/
Zogarok
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2014 et Le Classement Intégral de Zogarok

Créée

le 15 juil. 2014

Critique lue 653 fois

6 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 653 fois

6

D'autres avis sur Blue Ruin

Blue Ruin
Morrinson
8

Blue Ruin, la vengeance en héritage

Une sacrée surprise, ce "Blue Ruin", confirmant qu'aller voir un film sur grand écran en ne se laissant guider que par le hasard, vierge de tout commentaire, a encore tout son sens. Quelques mots en...

le 11 mai 2014

55 j'aime

5

Blue Ruin
Velvetman
8

Voyage au bout de l'enfer

Portrait incisif sur la perdition d’une vie et d’une Nation, Blue Ruin cloisonne son drame familial par les codes du cinéma de genre et affiche avec rudesse, la description d’une tristesse...

le 2 mai 2016

44 j'aime

8

Blue Ruin
Lilange
8

No Apology

J’aime bien les Revenge movies, depuis toute jeune. Je crois bien que ça a commencé avec The Crow :). L’injustice m’a toujours fait rager. Cela ne veut pas dire que je cautionne la violence, mais ça...

le 3 mai 2016

31 j'aime

6

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2