C'est l'histoire d'un mec dans un placard.

Je ne suis pas un invétéré de Lynch, disons-le tout de suite. J'ai vu "The Lost Highway" et j'ai trouvé ça cool. J'ai vu "Mulholand Drive" et "Sailor et Lula" et j'ai trouvé ça cool aussi. J'ai même essayé "Twin Peaks" mais j'ai pas encore pris le temps de continuer, problème d'agenda. Bref, j'aime bien, mais je vais pas faire l'aficionados pour autant, j'en suis encore un dilettante du bonhomme. Toujours est-il qu'à force de vouloir copier le maître, on finit par avoir l'impression de familiarité par les pastiches qui nous sont passés sous la rétine. Enfin, ça, c'est un aut' débat, là, on m'avait conseillé "Blue Velvet", chaudement en fait, de la part d'un ami très amateur de bas en nylon et de corset. Et sur le coup, je ne m'étais pas trop méfié, pensant qu'il ne devait s'agir que d'un film noir tranquille, avec un peu de voyeurisme, ça, j'avais bien saisi. C'est sûr, du coup, le voyage m'a un peu surpris.

La première scène captive. En fait, ce qui fascine, c'est l'oppression. Un homme est en train d'arroser son jardin pendant que son épouse est dans la maison, à cuisiner me semble-t-il. Et on sent que quelque chose va se produire. Quelque chose de mauvais. Le cadre contraint l'espace, limite les angles. Il fait pourtant jour mais je frissonne comme en pleine nuit et soudainement, l'homme tombe en se tenant la nuque. Il n'y a plus aucun bruit, la caméra va se faufiler dans les herbes, jusqu'à étouffer sous les grouillements en allant finalement des insectes, une horde sauvage, implacable et délétère qui dévore, sous la surface et corrompt loin des yeux. Pour un début, c'est clairement un bon début et en tout cas, ça a eu l'intérêt de me coincer fort. Et pourtant, la suite est bien plus "calme". L'homme se tenant la nuque est le père de Kyle McLachlan, il a fait un infarctus, il est hospitalisé et son fils est rappelé de son université pour venir tenir la boutique pendant que papa se remet. Malheureusement, le jeune homme, en revenant de l'hôpital, découvre une oreille tranchée dans un terrain vague et l'amène à la police. Début d'enquête, donc et début de film noir.
Et à partir de là, j'ai un poil décroché. Kyle fait des yeux doux à Elli Satler (Laura Dern, pardon), puis ne cesse d'observer Isabella Rossellini. Son enquête piétine et bizarrement, tout a l'air très plastifié. Comme si ce réalisateur qui, au début du métrage, avait lancé cette étrange scène mêlant un cadre extérieur avec une menace sous-jacente, avait décidé que le reste de son film se trouverait dans des intérieurs dignes d'un théâtre de quartier. L'appartement de Rossellini, à cet égard, est assez carton-pâte et je ne sais pas si c'est voulu (enfin, quand même, ça serait bizarre, nan ?). D'autant qu'il s'agit finalement "que" d'un film noir. Femme fatale, intrigue retorse avec un étudiant à la place de Sam Spade, bon, ce n'est pas totalement écœurant, mais ça ne m'emballe plus autant. Il faut attendre un peu pour que je comprenne enfin où l'on veut en venir, avec l'intervention de Dennis Hopper (décidément, ce mec a du talent pour jouer la lis de l'humanité, c'est assez dingue). Le gars arrive et c'est bon, le malaise reprend et le film recommence à exercer cette fascination. C'est toujours cette même sensation de l'imminence de quelque chose, de la menace invisible, qui transpire des situations. La séquence où Hopper se lance dans son "viol rituel" est juste complètement dingue à ce titre et il ne fallait pas moins que l'acteur pour donner corps et intensité à ce que l'on regarde. Et j'avoue que j'ai un peu détourné le regard, tant ce qui se passait à l'écran m'a littéralement glacé. Ouais, ok, je suis peut-être petite nature, j'avoue, en tout cas, à partir de ce moment-là, pour moi, le film démarre vraiment, versant toujours entre délire et réalité, avec ce qu'il faut de sadisme et de petites cruautés de la part des personnages pour que l'on y croit en permanence. Pour que cela sonne à la fois terriblement délirant et froidement crédible.
Et puis, il y a tous les petits détails qui finissent par devenir de plus en plus intéressants. La personnalité de plus en plus intrigante du personnage principal, ce fameux étudiant qui finit par jouer sur plusieurs tableaux et dont l'on finit par remettre les motivations en doute. Ce Denis Hopper fou mais qui a, d'une scène à l'autre, l'air aussi attendrissant que particulièrement inquiétant. Et que dire d'Isabella, assez stupéfiante dans son rôle. Il faut faire abstraction de l'horrible coupe de cheveux, sans quoi, on passe à côté d'une prestation fascinante, très sexualisée, mais d'une façon que seul Lynch a l'air de maîtriser pleinement, pour rendre à la fois confus et gêné son spectateur. Au final, on se rend compte que c'est simplement l'histoire d'un mec dans un placard, bien à l'abri, qui contemple et désire une sexualité qu'il s'interdit, un mystère érotisant qui le chauffe, jusqu'à ce qu'il finisse par sortir du placard.

Au terme du métrage, on a cette étrange et très surréaliste séquence de fin qui semble, à première vue, tellement en mode happy ending qu'il faut y regarder à deux fois pour saisir pleinement le niveau de glauquerie du message. Assez révélateur du reste du film, finalement, sur cette opposition entre la superficialité très propre sur elle d'une communauté bourgeoise et les déviances sexuelles et tentantes qui se cachent de l'autre côté du placard. Où le personnage finalement revient se réfugier. Dit comme ça, le message paraît tellement simple, mais l'expression du film de Lynch le rend bien plus convainquant. En plus, ça m'est apparu comme vachement plus accessible que The Lost Highway ou Eraserhead, sans perdre de son aspect le plus dérangeant. La seule chose qui m'a ennuyé, cela reste la durée du film et le temps qu'il met à se lancer réellement, à en venir à son sujet initial qu'il installe trop longuement.
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le 24 août 2014

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le 8 sept. 2014

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