La femme de ses rêves.Dans une Angleterre futuriste sous le joug d'une dictature féroce,Sam Lowry,modeste fonctionnaire du service des Archives,fait la nuit un rêve récurrent dans lequel il est un super-héros volant au-dessus de la ville et se portant au secours d'une jolie fille en détresse.Jusqu'au jour où il rencontre la donzelle,qui existe dans le monde réel.Mais elle est poursuivie par les autorités et Sam largue sa vie étriquée et monotone pour lui venir en aide,comme dans le songe qui était donc prémonitoire.L'américain Terry Gilliam faisait partie du célèbre groupe d'humoristes britanniques Monty Python.Quand les joyeux drilles se sont séparés,il s'est lancé dans une carrière solo de réalisateur."Brazil" est un de ses premiers films et constitue son chef-d'oeuvre.Il l'a coécrit avec Charles McKeown et le dramaturge Tom Stoppard.De grands noms figurent au générique,comme ceux du producteur Arnon Milchan ou du musicien Michael Kamen.Il s'agit d'un film d'anticipation,on ne parlait pas alors de dystopie,mais son aspect visionnaire doit beaucoup à des oeuvres qui l'ont précédé.On pense en effet aux romans "Le meilleur des mondes",d'Aldous Huxley,publié en 1931,ou au "1984" de George Orwell,paru en 1949.Côté cinéma,il y avait déjà eu "Soleil vert" de Richard Fleischer en 73,"Zardoz" de John Boorman en 74 ou encore "1984" de Michael Radford,adaptation du livre d'Orwell sortie un an avant "Brazil",en....1984 donc.Mais malgré toutes ces références prestigieuses,Gilliam sait faire preuve d'originalité et signe une oeuvre unique.Visuellement et techniquement,le film est magnifique.S'appuyant sur une direction artistique démentielle,des décors fantastiques et des effets spéciaux bluffants pour l'époque,qui tiennent encore le coup aujourd'hui,le cinéaste laisse libre cours à sa virtuosité.Sa caméra voltige et se faufile à travers un dédale de décors clairement inspirés de l'esthétique totalitaire,genre stalino-hitlérienne,avec ses bâtiments immenses,majestueux,froids et impersonnels.Chaque plan est un régal et fourmille de détails insolites et de personnages bizarres.La grande idée qu'a eue Gilliam est d'avoir fait la jonction entre la fable de politique-fiction et l'humour absurde des Python,le film baignant dans l'ironie cruelle propre au groupe.Du coup,la dictature ici présentée est aussi ridicule qu'effrayante.Rien ne fonctionne correctement dans ce système à bout de souffle.Les fonctionnaires sont paresseux,tatillons,apeurés,pétrifiés à la perspective de prendre une quelconque initiative qui pourrait les faire remarquer de leur hiérarchie et leur valoir des ennuis.D'autant que leur action est paralysée par une bureaucratie délirante qui les noie sous un tombereau de formulaires,de procédures et de reçus.De plus,la technologie utilisée par le pouvoir est loin des standards du cinéma futuriste habituel.Tout est gris,usé,délabré,obsolète,rien ne marche correctement,qu'il s'agisse des ordinateurs pourvus de claviers de machines à écrire antédiluviens,des appareils ménagers,de la chirurgie esthétique des vieilles peaux de la haute société qui foire lamentablement,ou même du ministre de la Recherche d'information,sorte de ministère de l'Intérieur où l'on pratique volontiers la torture,qui est un handicapé en fauteuil roulant qui doit être aidé par un tiers pour monter sur la cuvette des chiottes.Ces conditions acrobatiques n'empêchent toutefois pas la tyrannie de s'exercer grâce à une propagande martelée dès le plus jeune âge aux citoyens,et à un maillage efficace d'espions qui rôdent un peu partout et d'une caste de fonctionnaires dévoués au pouvoir par peur ou arrivisme.Mais comme l'incompétence règne,le pouvoir est incapable de juguler des réseaux terroristes qui commettent depuis des années des attentats à la bombe et exerce sa répression sur des citoyens ordinaires arrêtés par erreur.C'est marrant,ou pas,mais cet univers ressemble furieusement au nôtre.Au milieu de cette entropie subsistent pour tenir l'amour et le rêve.Sam tente de sauver la belle Jill,qui a assisté par hasard à l'arrestation par erreur de cette administration qui ne fait jamais d'erreur d'un pauvre bougre décédé ensuite des tortures subies lors de ses interrogatoires.Mais ce n'est pas de la faute des tortionnaires car le gars avait été appréhendé suite à la chute d'un insecte tombé sur une machine à écrire,ce qui avait modifié une lettre de son nom,Tuttle le suspect devenant Buttle.Et cette histoire kafkaïenne n'est pas finie puisque les responsables des "interrogatoires" avaient hérité du dossier médical de Tuttle,lequel n'avait pas de problèmes cardiaques,contrairement à Buttle,d'où la mort du suspect et l'embarras des autorités décidées à étouffer l'affaire.Les bourreaux conditionnent étrangement leurs victimes en leur signalant que leur silence prolonge leur questionnement et que l'utilisation du matériel destiné à les torturer leur sera facturée,ce qui n'est pas sans rappeler ce qui se faisait en Chine,où l'on faisait payer aux familles les balles ayant servi à l'exécution de leurs proches.Gilliam renvoie dos à dos les diverses violences,qu'il s'agisse de celle du pouvoir ou des attentats aveugles qui déchiquètent les gens un peu au hasard,pour se concentrer sur ce personnage poétique qu'est Lowry.Sorte de Buster Keaton impassible et entêté,il s'accroche désespérément à sa quête amoureuse,sans bien réaliser les dangers qui le guettent et l'inutilité d'un combat inégal perdu d'avance.Formaté lui-même par la matrice idéologique,il voit des terroristes là où il n'y en a pas,prenant pour tels Jill,qui n'est qu'une camionneuse qui magouille un peu,ou Tuttle,qui n'est qu'un chauffagiste clandestin.Après un faux happy-end,il sera enfin libre,dans le seul endroit où il peut l'être,son cerveau ou ce qu'il en reste.Jonathan Pryce,lunaire,est parfait et tient là le rôle de sa vie,tout comme Kim Greist,qu'on ne reverra guère par la suite.La crème anglaise des acteurs est de la partie,avec Ian Holm en chef de service timoré et incompétent,Bob Hoskins en chauffagiste sadique,Michael Palin,ex Monty Python,en tortionnaire jovial et fayot,Peter Vaughan en ministre faussement amical,ainsi que Jim Broadbent et le coscénariste Charles McKeown.Il y a également au casting deux américains,Katherine Helmond,surtout connue pour la série télé "Madame est servie",et bien sûr Robert De Niro,génial en artisan rebelle.Et puis est diffusée en fond sonore pendant tout le film cette petite musique entraînante et nostalgique qui donne son titre au film.Intitulée à l'origine "Aquarela do Brasil",elle a été composée en 1939 par le brésilien Avy Barroso et intervient comme un vestige d'un monde révolu et disparu,dans lequel la liberté n'était pas qu'un rêve.

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le 14 févr. 2020

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