Capitaine X
6.4
Capitaine X

Court-métrage de Jan Kounen (1994)

Le jugement implique aussi la (con)damnation du juge.

Merci Louis Scrutenaire pour ce titre efficace, prodrome tonitruant de ma critique :
Capitaine X va rendre son jugement.


Ce court-métrage, le septième (déjà) de notre irrévérencieux, le caustique, le tapageur Jan Kounen annonce – comme le faisaient les sorcières de Gisèle Kérosène – toute la véhémence de son cinéma et partant, donne quelque peu naissance à Vibroboy.
Je suppose que Capitaine X tire son nom, onze ans après, d’un feuilleton télévisé français, tourné en Hongrie et quelque peu tombé dans l’oubli, où un jeune officier des services de contre-espionnage français (incarné par Pierre Malet) combat en 1921, les méchants agissements d’un espion germanique en Syrie. Puis il y a de l’amour, et des sentiments, et encore d’autres choses qui rendent la mission mielleuse et ralentissent la détermination de notre espion.


Mais ici, de l’amour ? Non. Même pas de café.


Dans ce décor de rouille, de sueur, de sang, de poudre, on naît sans péridurale, pire, on naît pour mourir. Filmé en caméra subjective, le spectateur assiste à un brainstorming ultra-violent, convulsif : celui de son procès. Seul camaro de supplice, un autre prévenu, terrorisé et très (très) vite effacé du tableau.


Ainsi tout commence :



-T’es réveillé ? Tu dis pas bonjour ? Café ?



Et le capitaine vous colle une balle dans le ventre, ça a le mérite de maintenir éveillé. Ici on sait recevoir. Dans la même veine (ouverte), le spectateur achoppe sans fla-fla sur une bande d’allumés, onze portraits armés, tous dingues au possible. S’en lance un orchestre jusqu’au-boutiste, interminable, à la musique duquel les balles vous perforent les cuisses, les couilles, les genoux et finissent par crever l’écran.


Mais notre bon monsieur Scrutenaire nous a dit quelque chose pour commencer. Oui, le jugement implique aussi la con-damnation du juge. Et qui de mieux pour con-damner le juge que le jugé lui-même – au passage innocenté pour rien par une photo porno, ta femme, jetée par terre, trouée au niveau du sexe. Je dis, qui de mieux ? Personne. Attendez, ça arrive.


Alors vous êtes plusieurs fois exécuté, on vous tire dessus, on vous lacère la gueule, on fait tout péter, le hangar même. Vous bougez encore.




-C’est le diable ? C’est le diable ce mec !




La tendance s’inverse, la caméra s’accroche au plafond et dans un plan virtuose descend comme une ogive, dégueule du toit comme une installation de Thomas Hirschhorn, et charge le cigare du Capitaine. La tendance est inversée, renversée. Place a la condamnation du juge.


Ce court-métrage n’a aucune autre raison d’être vu si ce n’est pour être vu. C’est une expérience corrosive, survoltée, une petite nouvelle de 12 minutes sous benzédrine, à ne pas montrer aux innocents, surtout s’ils sont « tout petit, tout petit comme ça ».


--


Nota Bene : Je reviens sur ma critique, fort des enseignements reçus par le commentaire audio de Jan Kounen, lors de la publication en DVD de l'intégralité de ses courts-métrages.


En effet, j'apporte ici quelques précisions sur ce film : il s'agit à l'origine d'un film de commande, incrusté dans un DVD regroupant lui-même d'autres courts-métrages, d'autres réalisateurs. A chaque fois que la caméra semble mourir sous les assauts de la bande, le court s'arrête au profit d'un autre et reprend, comme organisme de liaison, comme articulation, fil rouge sang de chacun des films présentés.


Puis le projet d'un long-métrage Capitaine X avait été évoqué, un story-board ayant même été réalisé dans l'espoir de recueillir des fonds, et après une embrouille avec un des producteurs pressentis sera abandonné. C'est pourquoi vous trouvez la mention "A suivre..." à la clôture du montage final.


Aussi, chacune des scènes retenues dans le montage final est la dernière prise de chacun des essais. C'est là pourquoi Dominique Bettenfeld semble bel et bien avoir quelques fois perdu sa voix, il s'est bien trop donné sur les prises précédentes. On lui doit d'ailleurs le changement imprévu d'un objectif de caméra, suite une gifle (raccord caché de la première scène) efficace mais destructrice.


Enfin, Eric Laugerias lorsqu'il se fait braquer par Jan Kounen dans la toute dernière des scènes, est apeuré du pistolet chargé à blanc et dirigé vers ses yeux, le spectateur attentif remarquera qu'il regarde Jan à défaut de la caméra - ce qui fonctionne pourtant et ne nuit aucunement à l'effet.


Voilà tout ce que je peux apporter au cinéphile curieux et avide d’anecdotes efficaces.

Kvin-Argant198
8
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le 9 oct. 2019

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Arly Arly

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