Représentation théâtrale sur une modeste scène par des comédiens amateurs. Une fois la pièce finie et les applaudissements estompés, les acteurs sont escortés. On comprend alors que César doit mourir est en fait la chronique d'une mise en scène de théâtre au cœur d'une prison italienne. En adaptant Jules César de Shakespeare avec un casting de prisonniers, l'exercice sociologique apparaît à la fois évident et téméraire.


Ces hommes, en grande partie lourdement condamnés, découvrent alors toute la dimension de l'art théâtral: de l'importance de la prononciation et du placement, de la gestuelle et de la justesse dans les émotions à véhiculer. Le plus étonnant réside dans le fait qu'ils incarnent non seulement leur rôle dans la pièce, mais jouent également lors des répétitions de celle-ci: le jeu d'acteur se découpe en plusieurs strates, empêchant l'ensemble de se résumer à une banale répétition. Il s'établit aussi par moments un subtil parallèle entre la scène issue de la pièce et le contexte dans laquelle elle est reprise. Les répliques s'enchaînent si habilement dans la cour et les couloirs de la prison que l'on en oublierait presque que le groupe se compose avant tout de détenus, et que les loges sont des cellules. Mention spéciale au fiévreux Brutus, Salvatore Striano, sorti de prison depuis, et qui a poursuivi une carrière de comédien.


L'Art est ici comme une échappatoire à un quotidien terne et maussade, sinon une rédemption vis-à-vis d'un passé de bandit ou criminel. L'Ours d'Or 2012 illustre l'Art dans sa dimension universelle et, surtout, sa faculté à délivrer un homme de son enfermement physique, psychique et intellectuel. Ces prisonniers, malgré les barreaux qui les séparent de la liberté, se métamorphosent au fil du projet et aspirent finalement à un rôle ranimant leur dignité.


L'ajout du noir et blanc sur l'ensemble de la partie dans le milieu carcéral apporte une pureté esthétique aux scènes en transformant le décor sinistre de la prison en un espace artistique empli de tonalités lyriques et tragiques. Le point d'orgue du film des frères Taviani ne demeure finalement pas en ce que des amateurs sont devenus - le temps d'une pièce et d'un film - héros d'une aventure antique, mais s'évertue surtout dans l'élégance d'entrer à tout instant en écho avec l'affect et la sensibilité non pas de prisonniers, mais de simples êtres humains.

Palatina
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le 22 mai 2015

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