Sans parler de moi, il s'agit de la principale démarche du film, qui s'intéresse à la trajectoire des 3 femmes condamnées à la prison à vie dans la secte de Charles Manson, dont on suivra le parcours à la fois dans la secte via des flash back, et dans le "présent" (les années 70) avec une militante féministe qui se donne pour objectif de les déprogrammer. Pour les reprogrammer ? Allons, même si le film se veut insistant sur son militantisme (les femmes sont régulièrement rabaissées par Charlie), ses qualités sont ailleurs et supplantent ses défauts.


Parlons de l'ambiance, et pour se faire, je serai obligé de comparer ce film au principal tenancier du titre dans la catégorie Charles manson : The Manson Family. Grand film choc dont la réalisation s'est étendue des années 80 jusqu'à la fin des années 90, il avait une fascination morbide pour les personnages (qu'il suivait également comme un faux documentaire), et devenait une bannière de la secte en utilisant une imagerie psychédélique qui se pervertissait peu à peu avant de sombrer dans le satanisme ultra-violant, osant montrer les meurtres dans des surenchères visuelles qui créaient une ambiance des plus dérangeantes. On tombait dans les travers d'un Cannibal Holocaust ou d'un Philosophy of a Knife, des films qui en font tellement que l'excès finit par ne plus être un défaut, tant celui-ci fait partie intégrante du phénomène.
Ici, la réalisatrice prend le parti de respecter les victimes en ne montrant aucun meurtre (seuls les corps apparaitront à l'écran), et surtout, le film s'intéresse avant tout à la caractérisation et à l'évolution psychologique des trois femmes qui sont au centre du récit. Exit l'horreur maousse, on se lancera davantage dans la performance d'acteur et dans la reconstitution d'une ambiance sixties tout à fait plaisante. Si les détails féministes ne venaient pas gâcher la mise en scène par leur anachronisme, on pourrait se délecter de cette photographie légèrement désaturée et chaleureuse typique des films de l'époque, ainsi que des petits tics visuels jouant avec les diffractions de lumière des objectifs. En termes de reconstitution, aucun excès, on est dans un naturalisme plaisant, et les portraits de chaque personnages sont un peu plus nuancés que chez Van Bebber (où les femmes étaient davantage traitées comme des groupies plus ou moins volontaires).
De même, le climat de la prison est également retranscrit d'une façon assez agréable, avec quelques couchers de soleil pastels et des éclairages tamisés qui viennent adoucir et calmer ces étapes où la réalité est d'abord fuie avant d'être confrontée. Ces séquences apportent beaucoup à l'aspect caractérisation, permettant en effet à chaque actrice de jouer à fond sur les failles des personnages qu'elles incarnent, parvenant sans peine à les personnifier, là où Van Bebber en faisaient finalement des harpies réellement flippantes.


L'un des points forts du film, c'est également Charlie. Matt Smith est une belle trouvaille en la matière, tantôt charismatique, tantôt manipulateur, il incarne un gourou mystique à la hauteur de celui de Van Bebber (qui était moins beau, mais tout aussi rayonnant, on se rappelle de la messe avec le LSD remplaçant les osties). Toutefois, c'est aussi avec lui que le militantisme féministe du film s'exprime, puisqu'il va régulièrement mettre tarif gratuitement à une femme dès qu'un truc l'énerve, et en insistant lourdement pour bien qu'on pige que c'est une humiliation. Si le film s'était montré moins lourd et insistant, il aurait gagné un ou deux points facile. Le film a beau caser quelques stratégies sectaires intéressantes (humilier sous prétexte de détruire l'égo et accéder à une plus grande humilité, jouer sur les tensions extérieures pour isoler les gens et leur faire choisir la Famille...), on en revient régulièrement aux fameux "détails" militants, qui ne sont pas des détails tellement on nous les met en avant, dans les flashs back ou dans les discours de notre bénévole féministe (qui enseigne l'histoire des femmes en prison, et l'oppression qu'elles subissent). Quel dommage au vu de la conjugaison des talents qui nous offrent ici cette reconstitution sobre et bien troussée...


Dans La Famille Manson, le film insistait sur le racisme de la secte, qui croyait qu'une guerre raciale allait arriver (ceci aurait entrainé les premiers meurtres de la secte auprès des dealers noirs qui les approvisionnaient). Ici, le racisme n'apparaît pas une fois, contrairement au sexisme qui réduit régulièrement les femmes de la secte à des objets. Pour se faire une idée, on vous invite à vous documenter (même si la communauté hippie ne me semble pas réputée pour son sexisme, ni pour son racisme non plus (il n'y avait toutefois pas de noirs dans la famille de Charles Manson)).


Quand on fait le bilan, malgré les anachronismes militants, le film tient la bonne pente, avec des performances d'actrices et d'acteurs et de bonnes reconstitutions, on sent le savoir faire de la réalisatrice d'American Psycho dans la réalisation. Sans excès et plaçant ses enjeux dans l'évolution des personnages, ce film est un biopic avant d'être un film d'horreur, et ce postulat apporte une lecture nouvelle à son sujet. Plutôt qu'un concurrent de The Manson Family, c'est un complément de belle facture, qui aurait toutefois gagné à s'extraire du militantisme moderne pour s'ancrer dans la reconstitution, permettant alors d'assurer la pérennité du film au delà de sa décennie.

Voracinéphile
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le 11 avr. 2020

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