Dans son immense palais vide, un homme solitaire (Orson Welles) est en train de mourir. A le voir si faible et si brisé, on ne le croirait pas, mais cet homme, Charles Foster Kane, a dominé les Etats-Unis. Magnat de la presse à son heure de gloire, il a tenu l’opinion publique entre ses mains. Juste avant d’expirer, il formule une dernière parole : « Rosebud » (« Bouton de rose »). Intrigués, les journaux s’interrogent sur la signification de ce mot. Pensant que ce mot détient peut-être la clé de toute une vie, le patron d’un grand journal envoie un reporter (William Alland) enquêter auprès des personnes qui ont connu Kane. De ses déboires politiques à ses tribulations sentimentales, le journaliste va se rendre compte que la vie de Kane ne fut pas toujours de tout repos...


Considéré comme le meilleur film de tous les temps par l'American Film Institute, c’est essentiellement pour sa forme que Citizen Kane est loué par tous les critiques. En effet, Welles y fait étalage d’un sens de la mise en scène révolutionnaire pour l’époque. Il use de tous ses artifices pour impressionner son spectateur, sans pour autant que ceux-ci soient gratuits, révélant une maîtrise parfaite de la profondeur de champ, exploitant à merveille tous les plans de son image, mais aussi des mouvements de caméra, fluides mais jamais tape-à-l’œil.
Sur le fond, toutefois, le bilan est plus mitigé. Le film propose en effet une critique sévère de la presse et de son pouvoir de manipulation d’autant plus intéressante qu’elle est encore aujourd’hui d’une actualité brûlante, montrant par exemple qu’un Canard enchaîné et ses ridicules manipulations électorales sont loin d’être une nouveauté dans le domaine… C’est clairement cette vision de la presse comme manipulatrice de l’opinion publique qui retient l’attention, ainsi que son corollaire, la vision de l’opinion publique comme une girouette soumise aux vents capricieux de la démocratie.
Le problème de Citizen Kane réside surtout dans ses personnages et sa narration. Si le récit de la vie de Kane en flashbacks est une excellente idée, on a du mal à s’impliquer totalement dans l’histoire, et à s’attacher à des personnages qui n’ont finalement rien qui puisse justifier cet attachement. Kane est certes fascinant dans son ambition et son cynisme, mais on peine à ressentir quoi que ce soit vis-à-vis de cet être paradoxal, ainsi que de son entourage. Il manque à Welles cette petite étincelle qu’on trouve chez Capra ou Wilder pour donner une humanité pleine et entière à leurs personnages, suscitant immédiatement pour ces derniers l’empathie du spectateur. Il n'empêche que l'on peut difficilement ne pas se laisser toucher par ces images finales, qui nous montrent


la luge d'enfant de Kane partir en fumée comme jadis le portrait d'un certain Dorian Gray, l'une comme l'autre ultime vestige de l'humanité d'un homme qui prit le parti de renoncer à cette dernière, sa vie durant, et qui ne le regrettera qu'au moment de fermer définitivement la porte...


On ne fait donc pas la fine bouche pour voir un chef-d’œuvre dans ce monument du cinéma, qui marqua l’histoire de ce dernier tant par son étonnant travail formel que par sa vision politique et sociale, mais on aurait aimé pouvoir y être impliqué davantage.

Tonto
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le 22 avr. 2017

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