Pour quelqu'un comme moi qui n'a absolument pas aimé Grease, il faut reconnaître que le début de Cry-Baby est jouissif. John Waters, en bon cheval de Troie d'Hollywood, fait un gros doigt d'honneur à la débilité de ce type de comédie musicale populaire, en en exagérant les traits à l'extrême.


Les années 50 sont totalement caricaturées, le film dégouline de ringardise, les personnages sont tous plus stupides les uns que les autres, et les acteurs surjouent jusqu'à n'en plus pouvoir. Et pourtant, ce dixième degré fonctionne étonnamment bien, et arrive à ne pas tomber dans la lourdeur cradingue d'un Pink Flamingo. Le film déconstruit totalement le récit de Grease, non sans en critiquer le conformisme, et la B.O, dans le pur style rock'n'roll à la Elvis, est une agréable réussite qui doit beaucoup à la voix de Depp et Locane.


Car ce que vise Waters avec le film, c'est l'Amérique bien-pensante. Les petits bourgeois, en somme, et leurs valeurs conservatrices, qui se font sévèrement critiquer pendant l'entièreté du long-métrage : leur vision caricaturale de la jeunesse, leur naïveté maladive et l'éducation désastreuse qu'ils donnent à leurs enfants. Sous couvert d'humour, on voit que Waters penche largement du côté des freaks, des rednecks et autres marginaux, qui sont traités avec sympathie et auto-dérision.

Dualité assez classique de la part du cinéaste, qui rappelle le traitement que Burton fera aussi des freaks, mais qui possède une sincérité qui lui donne tout son intérêt. Mais Waters ne se limite pas à ça et dissémine (parfois discrètement, comme avec le camion remplie d'afro-américains qu'on voit une seconde à l'image) des piques envers les différents dérèglements de l'Amérique (discrimination raciale, justice défaillante, politique du bourrage de crâne etc...).


Reste quelques bémols. Déjà, une mise en scène bien trop sage pour un film censé secouer l'Amérique conservatrice : à part quelques idées originales lors de certaines séquences musicales, et le côté délirant de certaines chorégraphies, rien qui ne renverse vraiment le cahier des charges d'une comédie musicale. Ensuite, le film tombe dans le piège de nous servir un récit balisé et prévisible dans sa dernière partie, comme s'il n'assumait pas jusqu'au bout sa démarche de déconstruction au dixième degré. Dommage, le doigt d'honneur de Waters semble se rétracter sous la pression des producteurs.


On a donc un film assez jouissif, un peu bancal parfois (notamment dans l'humour de sa dernière partie, où on retrouve une certaine lourdeur) mais qui vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour la déclaration d'amour à l'Amérique des freaks si chère à John Waters.

Subversion
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2017 : Les films que j'ai vus

Créée

le 12 sept. 2017

Critique lue 430 fois

4 j'aime

Subversion

Écrit par

Critique lue 430 fois

4

D'autres avis sur Cry-Baby

Cry-Baby
Gand-Alf
8

Rock'n freaks.

Pape d'un certain cinéma trash et underground, maître incontesté d'un pur mauvais goût assumé, John Waters met de l'eau dans son vin dans ce film un peu plus commercial, produit par un gros studio...

le 14 janv. 2013

17 j'aime

3

Cry-Baby
Hunky-Dory
5

Un potentiel inexploité (mission maframboise n°1)

Rien de tel qu'une comédie musicale pour se mettre de bonne humeur. C'est donc avec plaisir que je me suis lancé dans celle-ci, sur un conseil de maframboise. Cry-Baby est une histoire d'amour entre...

le 23 juil. 2011

12 j'aime

3

Cry-Baby
el-thedeath
9

The New King of Rock'N'Roll

Cry, Baby, Cry En lançant Cry Baby je pensais voir un petit film sympathique mais sans plus et en faite ce film frôle carrément le chef d’œuvre ! Une vrai comédie jouissif, devant laquelle on rigole...

le 20 juin 2015

11 j'aime

2

Du même critique

Les Funérailles des roses
Subversion
8

Ambivalence

Puisqu'au Japon les années 70 étaient le terreau fertile à un cinéma transgressif exposant les tabous de la société japonaise au grand jour, il était logique que la communauté des homosexuels et...

le 9 déc. 2017

18 j'aime

2

Pale Rider, le cavalier solitaire
Subversion
4

Clint Eastwood, par Clint Eastwood

Permettez-moi d'être dubitatif sur le statut de ce film. Considéré souvent comme un des grands westerns des années 80, Pale Rider ne me semble pas du tout mériter sa réputation. Le fameux personnage...

le 27 août 2017

17 j'aime

4

All About Lily Chou-Chou
Subversion
10

Simulacres et gouffre générationnel.

[Il s'agit moins d'une critique que d'une tentative d'analyse, issue d'un travail académique plus vaste]. Shunji Iwai est un cinéaste de la jeunesse : dans la grande majorité de ses films, il n’a...

le 16 févr. 2019

16 j'aime

2