La tâche n'était pas évidente : réaliser un film encore plus frappant et déroutant qu'Inglorious Basterds, son dernier chef d'œuvre en date de 2009. Pourtant, Tarantino n'a pas eu froid aux yeux en s'attelant à un genre cinématographique qui lui était encore inconnu : le western.
On pouvait alors se demander si Django (unchained) n'était pas en réalité un remake du western Django de Franco Nero (1966) narrant les aventures d'un cow boy solitaire, témoin de violences faites aux femmes et aux pauvres reclus de la société américaine du siècle dernier. Force est de constater que non, pour la simple et bonne raison que Django narre l'histoire non pas d'un seul cow boy, mais de deux cow boys, réunis fortuitement, mais destinés sans le savoir à accomplir les premiers actes de rébellion contre l'esclavagisme.

Inglorious Basterds était déjà un film de guerre hautement politisé, dans lequel Tarantino nous livrait sa propre interprétation de la seconde guerre mondiale et de ce qu'aurait du être la chute d'Hitler. Ici encore il s'attèle à un sujet tout aussi délicat : une nouvelle fresque historique de rébellion contre l'oppression, un nouveau film politiquement (in)correct. Et il le fait subtilement, habilement, sans tomber dans la dénonciation statique ou trop sentimentale d'une abomination. Tarantino se contente de livrer un western, un récit sur comment a pu naître le premier vent de révolte contre l'esclavagisme. Quelle ironie du sort de constater qu'il place cette révolte dans les propos d'un homme blanc, un allemand, dentiste, devenu chasseur de primes pour arrondir les fins de moi (il faut bien vivre). Et c'est là que l'histoire prend source : lors de la réunion d'un homme blanc et d'un esclave noir. Deux protagonistes, qui, à l'image du Django de Nero, se complètent pour ne former qu'un seul et même homme, à la fois auteur et témoin des plus monstrueuses violences du sud des Etats-Unis. A la rage contenue de l'ancien esclave s'allie l'humanisme cynique du dentiste allemand, pour former le duo le plus redoutable et comique des westerns américains.

Ce duo se transforme rapidement en trio, lors de l'apparition de Di Caprio en homme d'affaires richissime et tellement porté sur l'esclavagisme qu'il organise des luttes à mort entre esclaves pour se divertir. Le cadre est alors posé : Le Bon, La Brute et Le Truand. Les adjectifs s'échangent ou se partagent. Si Django est incontestablement le bon et la brute, il apparaît parfois truand aux yeux des anciens esclaves qu'il trahit délibérément pour servir son intérêt propre. Si Di Caprio apparait comme étant le truand, il se révèle être une brute sans cœur. Pour ce qui est de Christophe Waltz, notre ancien chef nazi d'Inglorious Basterds interprète ici le rôle de premier choix : la brute laisse rapidement place au bon. Car bon c'est ce qu'il est. Le véritable héros du film n'est pas l'ancien esclave éponyme, mais bien au contraire ce dentiste cynique, un peu fourbe et à l'humour grinçant. Son personnage est la seule véritable figure humaine du film, le seul à prendre conscience que l'esclavagisme doit cesser, le seul à être touché par l'histoire d'amour entre Django et sa femme et à y croire suffisamment pour risquer sa vie pour libérer cette esclave. Waltz se transforme en véritable instigateur de la lutte contre l'oppression. Il est d'ailleurs la seule personne à se soucier réellement de la condition des esclaves, tandis que Django poursuit sa quête vers sa dulcinée de manière tout à fait égocentrique.
Et c'est dans cette romance que se situe le véritable fil directeur du film, dans cette quête de vengeance. En un sens, Tarantino se sert de cette romance pour dénoncer l'esclavagisme. Il ne le fait pas de front, il utilise son thème favori pour cela : la vengeance des plus faibles contre la tyrannie des plus forts. Sauf que cette fois les plus faibles ne sont pas des juifs ou d'anciens tueurs à gage trompés, mais un couple d'esclaves. C'est par ce simple fait que Tarantino bascule dans le film historique et politique. L'amour n'est qu'un prétexte, mais est un bon prétexte. Il évite ainsi sournoisement d'aborder un sujet aussi délicat ; et se contente d'un western tonitruant et violent.

Oui mais l'esclavagisme n'était-il pas tout aussi voir même plus violent ? Comment faire prendre conscience de la violence de ce passé sans montrer crument cette violence ? C'est de cette manière que Tarantino réunit à lui seul trois genres cinématographiques antagonistes : la comédie romantique, le film historique et le western. Si l'une des parties manquait, le film ne serait pas un tel chef d'œuvre.
A la poétique histoire d'amour, Tarantino mêle l'aspect historique des premières révoltes des esclaves, tout en y ajoutant une dose conséquente de violence. Mais le résultat est époustouflant : la violence prend une tournure poétique (la beauté des paysages et des cadrages est époustouflante), l'amour se révèle monstrueusement dégradant et violent, et la lutte contre l'esclavage incroyablement « drôle ». Le réalisateur parvient à traiter un sujet sérieux sur son ton humoristique habituel, en y insérant ses artifices habituels (une bande son anachronique, des cadrages de carte postale, des dialogues croustillants, un humour décalé et de l'hémoglobine, beaucoup d'hémoglobine). Bien sur, un Tarantino ne serait pas un Tarantino sans son thème fétiche: la vengeance. Tarantino parvient ainsi à faire du Tarantino sans en avoir l'air, c'est beau. Et comme à la fin de chacun de ses films la question qui s'impose lorsque l'écran s'éteint est : le désir de vengeance justifie-t-il les moyens ?
Cerise_V_
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le 21 oct. 2014

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