Dune c’est le mélange du futur et du passé, de l’antique et du technologique, du réalisme et du mysticisme, du sable et du sang.


Mais c’est surtout une savante réactualisation de notre mythologie. Paul Atreides c’est un Ulysse inversé, jeté dans une guerre de Troie, qui a été arraché à sa planète Caladan, planète à l’âpreté écossaise et espagnole (cornemuse et cornes de taureau en sont les symboles), et qui est obsédé par l’appel du désert, comme Ulysse des sirènes. C’est un homme qui rejette l’océan pour le sable, là où Ulysse cherche Itaque, son île de toujours. C’est une aventure, une quête initiatique, intime et personnelle, l’appel du large des dunes. C'est dans cet arrachement que Paul pourra s'accomplir. C'est aussi une oeuvre magique, magie inhérente à toute odyssée, à toute fable, en l'occurence ici ordre féminin mystico-religieux, qui régie l'univers à travers des disciples qui peuvent lire et influencer les pensées.


C’est aussi l’Iliade, avec tout ce qu’il y a de belliqueux et de politiques. Voilà des maisons nobles qui s’affrontent pour le contrôle d’un territoire et d’une ressource, l’épice, objet de tractations, trahisons et guerre sans merci. On pourrait croire les Atreides, un nom tellement homérique, plus sages que les terribles Arkonnen. Mais eux aussi débarquent avec leurs légions, réputées comme les plus braves, leurs vaisseaux, sur cette planète désertique, pillant les ressources des Fremen, natifs de la planète. Ils sont emplis de bonnes intentions mais ne sont que des colonisateurs de plus. Les Fremen poursuivront leur djihad, leur guerre sainte, pour qu'ils partent. C'est terriblement actuel et en même, temps terriblement ancien comme combat. C'est universel, comme toutes les thématiques du film. Et comme dans l'Iliade, il y a des dieux qui jouent aux échecs et manipulent les belligérants, ici les Bene Gesserit, ordre féminin qui gouverne secrètement le monde et les Frémen, qui ont écouté leur parole et attendent le messi, Paul, pour les sauver.


Ajoutons à cela du chevaleresque, avec ces armées en armure futuriste, formées de légions ou de bataillons d'élite à la manière des Immortels de Perse, une rivalité entre maisons qui fait songer à la guerre des Roses ou à Game of Thrones, un empire tentaculaire, du Moise, du biblique, une patine antique des civilisations perses (la lignée impériale se nomme Padishah, ce qui veut dire roi en Persan), égyptiennes et arabes (l'architecture de la ville d'Arakis), sans oublier des problématiques très contemporaines sur l'environnement, le profit, l'exploitation des ressources, et le décor est posé.


Et justement, c'est ce décor que pose avec brio Denis Villeneuve dans cette première partie. Son film respire, prend le temps de développer les personnages dont on retient miraculeusement tous les noms et les caractéristiques, même les secondaires, parce qu'on s'offre le luxe de raconter leur histoire, de Paul à Duncan, de Chani à Jessica. Le casting, monumental, aide à l'immersion. Timothée Chalamet, d'abord effacé, comme son personnage, s'affirme. Dame Jessica, sa mère, incarnée par Rebecca Ferguson, est un des personnages les plus intriguant et les plus consistants. Le chef de la famille, le Duc Leto, joué par Oscar Isaac, transpire de charisme. Son ennemi de toujours, le baron Arkonnen (Stellan Skasgard), est aussi terrifiant que mystérieux, avec des apparitions vraiment impressionnantes, dans la brume ou l'huile poisseuse, obsédé par l'épice et le profit, comme d'autres le sont du pétrole.


Pour se faire, le réalisateur québécois déploie une mise en scène monumentale, digne justement des mythes et des légendes, palais immenses, gigantisme des paysages, armées colossales. Il n'y a rien à dire, la photographie est somptueuse, très au dessus de la norme, jusqu'à donner des frissons de satisfaction. Les yeux sont repus. Mais ces décors sont empreints de vécu, réels, palpables, avec un passé, des légendes, une histoire qui est montrée et visible à l'écran, inspirée de civilisations de jadis (comment ne pas penser sur Dune à Persépolis ou à Babylone ou à Memphis ?). Il nous plonge in media res dans cette histoire entre future et passé, qui sent le vécu, les vieilles rivalités, les vieilles guerres, et qui charme par son étrangeté, à la fois orientaliste et futuriste. Ce style est rafraichissant. Ainsi, on est abreuvé de termes, de langues, d'objets singuliers, dont on comprend le sens au fur et à mesure, ce qui ne manquera pas de donner aussi ce sentiment d'austérité, d'âpreté, le film étant presque un film pour initiés. L'étrangeté est d'ailleurs une des thématiques du long métrage, car il s'agit d'aller coloniser un ailleurs, de rencontrer d'autres coutumes, et d'un héros arraché aux eaux de sa planète natale.


On pourra aussi reprocher la même froideur quant à l'émotion, aux personnages, car oui, la mise en scène de Villeneuve est froide, comme dans la plupart de ses films mais peut-on dire que l'Odyssée et l'Iliade sont des oeuvres intimistes et sentimentales ? Non, elles sont des épopées qui dépassent les hommes. Les héros grecs sont froids, désincarnés, violents. Il en est de même pour ceux de Dune. Il s'agit d'une mythologie, d'une légende. Même si c'est aussi un récit introspectif et une quête initiatique, ce qui est peut-être moins réussi, l'aspect mystique de Paul, à grand renfort de visages ensoleillés et lascifs de Zendaya étant un peu redondant, le personnage refusant d'accepter sa destinée, sauf à la toute fin du film bien entendu, annonçant la seconde partie à venir.


Il y a tout de même quelques scènes touchantes, l'ultime combat de Duncan et fortes en émotion, la dent de Leto, l'épreuve de la peur, et des scènes de batailles épiques et dantesques qui donnent des frissons, des trouvailles de mises en scène (les vaisseaux libellules, les vers géants), servis par une musique omniprésente mais fondamentale pour poser cet univers, les leitmotivs des vers des sables résonnant régulièrement comme une constante menace, comme ceux des visions de Paul pour évoquer son destin en marche. Si certains éléments de l'intrigue, particulièrement dense, échappent parfois au premier visionnage, l'histoire dans l'ensemble est digeste mais pose des questions qu'on espère voir résolues dans le second volet, notamment concernant l'empereur, demeuré invisible durant ce premier film, et sur les autres maisons de l'univers. La fin, dans le désert, dans le désoeuvrement, dans l'exil, est peut-être un peu moins forte que le début du film, car les personnages sont acculés et dans le doute, ils s'enlisent, dans le sable. Le rythme est retombé. Ils nous quittent dans la tourmente. Il est temps d'avancer et il n'est plus temps d'introduire. Ce film est une introduction monumentale. Espérons qu'il sache conclure.


Villeneuve en réalité semble avoir travaillé toute sa filmographie pour arriver à cet aboutissement. D'Incendies qui traitait déjà du Moyen-Orient et de l'Orient, à Premier Contact et Blade Runner 2019, qui introduisaient des esthétiques et des réflexions SF exigeantes, tout devait le mener à cet endroit. Il en est de même pour son acolyte Hans Zimmer, déjà présent avec lui sur Blade Runner. Le compositeur avait fait Gladiator, explorant l'antique et le chevaleresque, puis Instellar et Blade Runner, s'ouvrant à l'expérimentation et au futurisme. Sa bande originale est une pierre angulaire indispensable au monument de Villeneuve. La rencontre des deux hommes ici est déterminante, pour ne pas dire décisive.


Très supérieure à la moyenne des productions actuelles, Dune est un Blockbuster d'auteur, c'est à dire un film aux ambitions et au budget démesurés. Si Villeneuve offre un long métrage particulièrement exigeant et assez froid, il compense par un amour sans borne du matériel originel, par une minutie et un souci hors norme du détail, ainsi que par des séquences de toute beauté, ne se lassant jamais de filmer les dunes, encore et encore. Son film, froid comme l'obsidienne, dur comme le sable du désert, propre comme une lame d'épée, est une expérience radicale de science-fiction. Il peut laisser de marbre comme émerveiller, à la manière des mythologies de jadis. Car Dune c'est du neuf avec du vieux, c'est l'Odyssée sans Ulysse et sans mer. Le film marche dans des pas de titans, que ce soit le livre dont il s'inspire, que les mythes qui ont nourrit le livre. Cette adaptation fera sûrement date dans l'histoire de la science-fiction. Space Oddity. Spice Oddity. Il y a l'Odyssée de l'Espace, il y a l'Odyssée de l'Épice.

Tom_Ab
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le 19 sept. 2021

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Tom_Ab

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