Un ver dans une tempête

Dune, c'est un univers dense et complexe parfaitement maîtrisé et exposé. Malheureusement, une exposition, même virtuose et réussie, ne se suffit pas à elle-même. Sans sa suite, le film laisse un goût aussi amer qu'une promesse non-tenue. Pour l’instant…
L’adaptation de Dune au cinéma est un long serpent de mer. Beaucoup de réalisateurs se sont cassés les dents sur ce classique de la littérature de science-fiction, sans succès. Malgré l’adaptation ratée de David Lynch en 1984, Hollywood n’a pas lâché l’affaire, tentant de relancer le chantier au moins une fois par décennie. Alors quand c’est finalement le canadien Denis Villeneuve qui allait accomplir son rêve d’enfant et porter sa vision de ce monument sur grand écran, les nombreux aficionados de space opera avaient de quoi être rassurés. En effet, cela fait 10 ans que ce réalisateur assimile parfaitement la machinerie lourde des grands studios hollywoodiens pour mettre en scène des films ambitieux et très réussis (citons entre autres Prisonners, Sicario, Blade Runner 2049).
Une vision et des moyens, ce sont assurément deux ingrédients nécessaires pour transposer cet univers dense et complexe sur le grand écran. Il y est question d’une civilisation futuriste au fonctionnement féodal qui a pu conquérir l’univers grâce à une ressource, l’Épice. Cette dernière n’est présente que sur une unique planète, Arrakis, et des puissantes familles se la disputent sur fond de conspirations géopolitiques. Chez Paul, le jeune héritier des intendants d’Arrakis, un lien mystique commence à se tisser avec ce monde désertique et hostile, notamment au travers d’étranges rêves prémonitoires.
Comme attendu, Denis Villeneuve parvient parfaitement à nous immerger au sein de l’univers foisonnant imaginé par Frank Herbert, où le destin d’un héro se dessine au milieu d’un fatras d’intrigues politiques complexes. Le travail artistique sur l’élaboration de ce monde imaginaire est prodigieux : costumes somptueux, décors naturels splendides (essentiellement en Namibie, Jordanie et Norvège) augmenté par des effets spéciaux parfaitement intégrés, une bande originale signée par un Hans Zimmer particulièrement inspiré, tout est là ! Le film recèle une kyrielle de scènes qui auraient très vite pu être décousues si le travail du monteur Joe Walker n’avait pas été aussi colossal. Le tout s’articule de manière fluide et passionnante. Pourtant, le film présente un problème, et pas des moindres : il est inachevé.
Dès le départ, Dune a été pensé comme un diptyque. C’est à la fois sa force et sa faiblesse. En prenant son temps, le film permet au spectateur de mieux digérer sa matière complexe. En revanche, il n’offre rien de satisfaisant en termes d’aboutissements dramatiques. Là où Georges Lucas avait parfaitement réussi à raconter une histoire dans la grande saga avec Star Wars : Un Nouvel Espoir, Dune colle (trop ?) fidèlement à l’histoire du roman et se termine en plein milieu du récit sans ajuster ses développements narratifs. On a comme l’impression d’avoir assisté à un somptueux épisode d’une série TV. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune garantie que cet univers ne persiste au-delà de cet essai, la suite étant conditionnée à un succès massif du premier opus. Certes, Dune n’est pas qu’une belle coquille vide, notamment grâce à l’écho qu’il renvoie avec les problématiques écologiques et politiques actuelles, mais son récit et ses personnages sont interrompus brutalement sans réel achèvement narratif. C’est frustrant et dès lors, on ne peut donc que recommander aux amateurs de bonne science-fiction d’aller s’imprégner de cet imaginaire stimulant et prometteur au cinéma, sans quoi Dune risque de ne s’apparenter qu’à une tempête de sable dans un verre d’eau.