Avec le fameux plan-séquence sur neuf minutes de viol, Gaspar Noé est devenu pour la vie le cinéaste polémique de service (Seul contre Tous), le "choqueur de bourgeois" (Sodomites) auquel on reproche tout et son contraire avec plus ou moins de conviction, celui qu’on célèbre pour une foule de raisons éventuellement préfabriquées. Pourtant Noé n’en est qu’à son troisième long-métrage avec Enter the Void et il n’a presque rien conçu depuis Irréversible en 2002.


Plus vraiment sulfureux mais toujours aussi déroutant et épineux pour les récepteurs, celui qui aurait dû s’intituler Soudain le Vide accompagne Oscar (Nathaniel Brown) dans sa sortie du corps post-mortem. Noé s’est fondé sur le Livre tibétain des morts de Bardo Thodol, ouvrage-clé de son adolescence, pour élaborer ce voyage astral, montrant le cheminement d’une âme après le dernier soupir et jusqu’à la réincarnation.


Merveille technique et curiosité esthétique, Enter the Void cultive un intense contact avec son auditoire, en tout cas dans sa première heure, où il communique le ressenti extrême d’un bad trip. L’ensemble ressemble violemment à certains niveaux de réalité et d’existence (situation de camé ou de paumé, dissociation, approche hallucinée d’une ville la nuit). L’objectif trip sensoriel est accompli, Noé conjugue l’immersion terre-à-terre et la déréalisation, exerce une séduction autant par ses envolées que par le sentiment de dépossession au moment même d’une implication terrestre étendue et absolue.


Cependant le Noé fluo est affolant d’abord, puis lassant. Premier bémol, le personnage sympathique mais niais, kéké toxico suscitant une éventuelle distance au départ. Ensuite, cette multiplication de tics creux et abusifs, avec notamment la répétition des séquences de traumas. A ces moments, la virulence imite la profondeur (les retours bourrins de l’accident, les subits et parfaitement inutiles chocs sonores).


Enfin, passée la première partie (intro et mort), le film s’embourbe dans un tunnel rétro, véritable phase léthargique exposant la genèse personnelle de Oscar. Le retour au présent et la poursuite de l’action immédiat, sans retrouver la grâce de la première partie, remettent dans le bain et couronnent le tout de morceaux de bravoures que seul Noé peut oser. Le recul et le ridicule sont plus forts et atteignent leur paroxysme avec ce vol au-dessus d’un love hotel : on adore le principe, forcément… mais ça va deux minutes. Vingt, c’est long.


Ce n’est pas tout à fait un « mélodrame psychédélique » comme l’a indiqué son auteur, plutôt un exercice de style flamboyant et sans subtilité, à la mise en scène imaginative, parfois à la limite de la logorrhée. D’où émanent le génie, la volonté d’épate un peu beauf et le « je vais vous en mettre » de gros lourdaud virtuose.


https://zogarok.wordpress.com/2015/01/15/enter-the-void/


http://www.senscritique.com/film/Sodomites/critique/25762951

Zogarok

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7

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