Ashes to ashes
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Enter the Void, scandale confidentiel du Festival de Cannes 2009. Littéralement, "entrez dans le vide". Titre on ne peut plus approprié : ce film est une coquille vide.
Troisième long métrage de Gaspar Noé, après les sulfureux et polémiques Seul contre tous et Irréversible, Enter the Void est une oeuvre essentiellement plastique. L'histoire se résume en quelques mots (un jeune junkie se fait tuer lors d'un deal, son esprit va suivre sa sœur, à qui il avait promis que même la mort ne les séparerait pas), l'intrigue est quasi nulle, la dramaturgie à peu près inexistante et la portée philosophique proche de zéro. Ici, le fond ne compte pas, n'existe pas : seule la forme importe.
Et la forme est stupéfiante. Dans ce film hallucinant (au sens propre) de 2h30, Noé propose un nouveau cinéma et délivre des plans inédits : carrément du jamais vu ! A travers une réalisation d'une maîtrise et d'une inventivité exceptionnelles, il plonge le spectateur dans la subjectivité d'un personnage par lequel on verra tout : à travers ses yeux pendant la première demi-heure (avec les clignements de paupières qui obscurcissent l'écran), à travers son esprit qui flotte au-dessus des rues de Tokyo, qui passe à travers les murs et dans les tuyaux, qui s'incruste dans les véhicules et colle au plus près des êtres encore vivants, et parfois aussi à travers le corps de ceux qu'il investit. Et passer ainsi 2h30 dans la peau de quelqu'un qui vit, baise, se drogue, meure, puis dans la "peau" de son esprit flottant qui erre, se souvient, s'infiltre, est une expérience révolutionnaire, unique, inédite, bouleversante, perturbante, radicale, absurde, violente, folle, effrayante, magnifique, insensée.
Avec ce film, Gaspar Noé s'impose comme un génie pur. Mais un génie paradoxal : en négligeant le fond (encore une fois, il n'y a pour ainsi dire pas d'histoire), il fait de son oeuvre un monument intrinsèquement superficiel. Si Enter the Void m'a marqué (le contraire semble impossible), j'en suis sorti dès que les lumières de la salle se sont rallumées, pensant et passant aussitôt à autre chose. Et je ne pense pas que je le reverrai, dans la mesure où il ne supportera sans doute pas le format petit écran (il faut vraiment le voir au cinéma, le prendre dans la gueule, au premier rang) et où je n'aurai a priori pas envie de refaire un tour dans ce manège qui montre tout mais ne raconte rien.
C'est un peu comme aller à une exposition qui se tiendrait un seul jour, tomber sur une oeuvre qui réinvente tous les codes et en crée de nouveaux, être fasciné par cette oeuvre comme on ne l'a jamais été par aucune autre, mais ressortir de la salle en se demandant simplement si on a bien pensé à racheter du café. Une coquille parfaitement creuse, dont l'apparence vous bouleverse mais dont le vide vous laisse forcément indifférent.
Enter the Void est déconseillé aux moins de 16 ans ; je le déconseillerais également aux épileptiques et aux âmes sensibles. Les effets stroboscopiques, dont Noé a toujours été friand, sont ici légion (le générique d'ouverture, absolument indéchiffrable, est particulièrement agressif pour les yeux et pose l'ambiance d'entrée : avec Noé, le spectateur est pris aux tripes et sera malmené), et si certains plans sont de toute beauté (la séquence d'hallucination sous drogues, qui dure six minutes, est positivement hypnotique), d'autres se veulent bêtement chocs (le gros plan sur le fœtus avorté) ou sont carrément risibles (le coït final, filmé depuis l'intérieur du vagin, avec l'orgasme masculin qui vient faire comme une gigantesque éjac' faciale sur la gueule du spectateur).
Véritable tour de force en forme de gigantesque attraction de Futuroscope (version musée des horreurs), poème urbain visionnaire, cauchemar éveillé, blague potache pas drôle ; voilà un film unique (et formellement inédit, j'insiste) qui oscille entre délire psychédélique planant et bad trip écoeurant (plans trash, porno et thématique incestueuse sont au rendez-vous), entre choc visuel hallucinant et vacuité vertigineuse du sens.
Si vous voulez vivre une expérience aussi fascinante et révolutionnaire que superficielle et absurde, allez voir Enter the Void. Et si vous y allez, je n'aurai qu'un conseil : n'hésitez pas à quitter la salle avant la fin de la première heure si vous avez mal aux yeux ou ailleurs, si vous êtes mal à l'aise ou que l'entreprise vous semble trop chiante, trop glauque, trop idiote, trop nulle. Inutile d'insister, ça ne va pas en s'améliorant. Et personne ne vous jettera la pierre. Si au contraire vous tenez le coup, alors forcez-vous à garder les yeux ouverts même quand les images vous agressent la rétine. Enter the Void est une proposition de cinéma extrême qu'il faut vivre de la même manière.
Créée
le 4 juin 2016
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