Premier film d'Alex Graland et premier film prometteur, Ex Machina pose beaucoup de bonnes questions mais oublie souvent d'y répondre. Parfois même, il en pose d'inutiles. Mais il ne faut pas bouder pour autant: nous sommes à une époque où les productions les plus riches d'Hollywood tournent à vide et semblent convaincues qu'on ne peut allier fond et forme. Heureusement, les Britanniques comme Alex Garland se souviennent que les fondateurs de la science-fiction au cinéma comme Méliès, Stanley Kubrick où même Ridley Scott, n'ont jamais pu se contenter d'épater visuellement la galerie sans proposer une réflexion sur la condition humaine.
Dans le sillage du Her de Spike Jonze (et d'une autre manière des Fils De l'Homme), Ex Machina propose une réflexion profonde (mais trop dispersée) sur notre condition et surtout notre identité de race humaine. Une des grandes questions qui nous taraudent et celle de notre spécificité par rapport au reste du règne animal. Car si l'on enlève cette "intelligence supérieure", nous ne sommes qu'un quelconque primate dont la vie se réduit à la satisfaction de ses besoins essentiels: s'alimenter, procréer et donc: survivre. Donc si, comme le propose Ex Machina, nous pouvons créer cette intelligence, jusqu'ici fruit de millions d'années d'évolution, nous sommes réduits à l'état d'une "machine organique" à peine plus évoluer qu'un pou.
Sauf qu'Alex Garland ne pose pas ces questions, c'est nous qui nous les posons, immanquablement. Mais lui ne les aborde pas un instant. Même s'il effleure la conscience de soi, les liens entre l'intelligence et la connaissance, il oublie les questions fondamentales que sont celles de l'âme, de la spontanéité et de l'imprévisibilité de l'être humain, qui repoussent cette idée d'êtres "programmés". Il préfère parler sexe, malheureusement. Nous détailler ce "trou" (que c'est laid en fait) que l'androïde Ava (prononcer "Èva" en version originale, allusion pas très fine) a entre les jambes, qui est muni de capteurs lui procurant du plaisir.
Alex Garland maîtrise en revanche sa mise en scène: sobre, presque zen.L'économie de moyens comme érigée en leitmotiv, comme une profession de foi militante et au fond, comme un miroir renvoyé à ce cinéma qui pense que, si une explosion ne vient pas réveiller le spectateur tout les dix minutes, ce dernier va s'endormir. Alex Garland sait que, quel que puisse être notre niveau d'éducation, nous nous posons tous les mêmes questions fondamentales, nos questions primitives. Il oublie juste de les poser. Alors il se contente d'un décor aseptisé, presque chirurgical où la personnalité disparaît derrière des tons mornes, comme en résonance à cette histoire qu'évoque Caleb à un moment: cette intelligence artificielle enfermée dans le noir et blanc et qui ne connait la couleur qu'une fois sortie. En revanche, on passera sur les clins d'oeil trop appuyés à Blade Runner, lorsque par exemple, la créature tue son créateur.
Oui cette note généreuse est surprenante, mais c'est un encouragement à poursuivre, même si Alex Garland s'en moque bien de cette note. Une note aussi en réaction à ce cinéma (pas uniquement U.S.) qui peine de plus en plus à proposer quelque chose et qui pousse le recyclage jusqu'à l'asphyxie. Beaucoup rêvent certainement d'un premier film de ce niveau, en particulier sur le plan formel. Il n'y a peut-être pas encore de génie, mais certainement un élève doué et surtout, qui à une ambition pour les spectateurs que nous sommes.
PS: Avant de voir le film, il peut-être très intéressant de lire cet article:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Turing