La thématique des robots sur grand écran, c’est souvent un peu quitte ou double, et plus souvent quitte d’ailleurs. Quelques cinéastes s’y sont frottés, les uns réussissant à exploiter la thématique pour construire une vraie réflexion (Blade Runner), les autres se vautrant royalement en se complaisant à n’illustrer que l’aspect visuel et spectaculaire du mythe (I-robot, Chappie). L’adaptation au cinéma de tout ce pan de la littérature de science-fiction, dont Asimov est le grand gourou, tient du projet généralement maudit, et en tant qu’amoureux de ces pages si inspirantes, j’ai souvent regretté que le thème ne soit pas pris d’assaut plus régulièrement au cinéma.


Mais en cette année mitigée en terme de sorties, un nouveau venu vient de remettre les pendules à l’heure. Avec Ex-machina, Alex Garland signe un premier film qui laisse présager du meilleur pour la suite de sa carrière tant il témoigne d’une inspiration parfaitement digérée et d’un sens de l’image assez remarquable. Et s’il s’affranchit sans vergogne des quelques lois de la robotique imposées par le père fondateur du sujet, c’est pour proposer une réflexion sincère car non exubérante sur la nature humaine et ses paradoxes. Dont celui de vouloir jouer au créateur en surpassant la nature sans avoir le recul nécessaire sur sa propre condition d’être vivant imparfait. La question du sentiment comme preuve d’une intelligence artificielle autosuffisante étant remise en question avec brio : qui de la machine qui peut feindre l’émotion, ou de l’humain qui ne jure que par elle, possède l’avantage. Garland répond de la plus noire des manières.


Techniquement, Ex-machina est un film maîtrisé de bout en bout qui mise sur l’élégance d’effets visuels travaillés ne prenant à aucun moment le pas sur l’histoire. Un script particulièrement intelligent qui se focalise sur l’essentiel en jouant avec les points de vue de trois personnages pour un jeu de faux semblants redoutable. Un pari de sobriété qui doit beaucoup aux trois interprètes qui le rendent possible : Oscar Isaac joue l’ambivalence à la perfection, Domhnall Gleeson lui répond de fort belle façon en jeune adulte idéaliste et la jolie Alicia Vikander rend l’amour possible entre un humain et une humanoïde saisissante de réalisme. Qui ne grillerait pas quelques uns de ses circuits pour une virée dans le monde réel en sa compagnie ?


Finalement, en dehors de quelques ficelles narratives un peu discutables (un scientifique aussi lucide que celui incarné par Isaac aurait probablement prévu un mode reboot de la station, un processus de remise à zéro de ses robots, ou se serait tout simplement conformé aux trois règles de la robotique du père Asimov), Ex-machina est un premier film impressionnant à tous les niveaux, qui fait attendre la suite de la carrière du jeune Alex Garland avec impatience. De mon côté, son interprétation d’un thème particulièrement cher à mon coeur est, à peu de choses près, telle que la désirais depuis un bon moment : perspicace, sensible et élégante; de quoi faire de lui, à mes yeux, l’un des cinéastes les plus prometteurs actuellement en activité.

oso
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le 23 juin 2015

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oso

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