Un survival immersif au fond politique intéressant mais hélas trop long

Chose rare pour être soulignée : deux films danois sortaient le même jour en France. Si j'ai l'intention d'aller voir Mon ninja et moi, j'ai découvert en premier le survival Exit qui possède les atouts et les limites du genre auquel il appartient. Le film se démarque pourtant pour son approche sociologique et politique. En effet, le film a pour héroïne une reporter danoise un peu déconnectée de la réalité, à qui on rappelle sans arrêt qu'elle fait un travail de bureau. Elle semble souvent à côté de la plaque, que ce soit lors des premières scènes introductives où ses questions posées aux ouvriers sonnent tantôt ridicules, tantôt douloureuses. Elle connait déjà les réponses, ou les fabrique elle-même en posant des questions très dirigées. La reporter n'apparaît alors pas très sympathique et en même temps l'intelligence du film est de nous faire s'identifier à elle : elle débarque dans un monde qu'elle semble connaître uniquement par la théorie et les écrits, mais pas en profondeur ni de manière technique et physique.


Le film a d'ailleurs la vertu de nous faire découvrir totalement les coulisses souterrains du métro avec la multiplication de termes techniques qui jouent vraiment dans l'immersion du film. En effet, le film joue sur la pressurisation, la pression, la chaleur, les ondes, les sons, l'oxygène, le souffle avec une vraie maîtrise. Les personnages ont en effet des enjeux bien spécifiques par rapport à un phénomène ou des données physiques et organiques. Cet hyper réalisme renforce l'impression de suffoquer et surtout que rien ne sonne faux. Avec les explications des ouvriers sur les possibles moyens de s'en sortir, on croit dur comme fer aux situations. On comprend les issues possibles comme celles condamnées ou celles dangereuses. Il y a un vrai travail visuel, auditif et descriptif pour faire ressentir la gravité des situations et l'escalade des problèmes. C'est tout l'honneur de ce premier film.


Le long métrage réussit aussi sa dimension politique avec des répliques qui sonnent très fort, à la fois cruelles et naturelles, dures et logiques. Quand le chef de chantier balance à la journaliste qu'il la considère comme un monstre étant donné qu'elle ne pense à sa fille qu'en situation de danger extrême, le rapport à la parentalité, à l'humanité en prend un coup. Chaque personnage apparaît tantôt antipathique tantôt pathétique. On se prend de pitié pour chacun d'eux au vu de la situation et de leur background familial. Ils arrivent à être émouvants et en même temps font preuve de lâcheté et de méchanceté lors des scènes très intenses avec l'apogée lors du passage de masque à oxygène où la survie de l'autre semble se disputer avec sa propre survie, où l'égoïsme fait face à la solidarité. Cette scène très ambiguë résume les forces et les faiblesses du film à elle seule : le malaise social engendré par les rapports de force entre les protagonistes et le caractère documentaire qui pose les limites du film. Le malaise social est amplifié par la promesse de la journaliste à l'ouvrier immigré puisqu'il repose sur l'argent avec en échange la survie.


Certes, le film est immersif, très étouffant, parfois insoutenable. On ressent la chaleur, l'humidité, la pression. Mais le problème du film vient dans son rythme. Le réalisateur ne sait pas quoi couper sous prétexte de rendre l'immersion totale. Certaines scènes sont interminables. On pardonne les scènes où les personnages attendent, puisqu'il n'y a que ça à faire. Or, quand le réalisateur verse complètement dans le survival, l'aspect documentaire se retourne contre le film. La scène de passage de masque est ridiculement longue (quasiment 7 minutes !), mal filmée, mal cadrée avec en fin de séquence la seule idée de cinéma réelle du film : un plan à la Pieta qui fait le tour à 360 degrés des deux survivants (car oui un des trois héros meurt, assez prévisible d'ailleurs mais de manière un peu ridicule et inattendue).


Ce plan est si appuyé, sort de nulle part après tant de refus de cinéma pendant plus d'une heure. On a l'impression que la scène par sa longueur documentaire et sa fin cinématographique appuyée est grotesque, irréaliste. Il y a un contraste trop énorme qui succède à un survival assumé mais dénué de regard, de vision cinématographique. Un simple spectacle en somme qui se termine de manière grossière. Il n'y a rien à reprocher aux acteurs, bien sûr. Ils sont solides, justes sans être inoubliables malgré tout. L'exercice est réussi mais les ambitions cinématographiques du réalisateur, mises à mal pendant la première heure et qui explosent de manière incontrôlée dans le final ne passent pas. Je suis sorti de la salle assez amer vu le résultat poussif et déséquilibré d'un point de vue rythmique et visuel. Heureusement que l'aspect politique du film (un grand projet européen qui exploite les ouvriers et les immigrés, la vision de la parentalité, l'individualisme occidental) sauve le film de l'exercice de style vain.


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lucaslgl
7
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le 28 juil. 2020

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lucaslgl

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