Fan de cinéma japonais, j'appréhendais la sortie de ce film au vu de la bande annonce et du sujet. Il est vrai qu'on peut craindre le pire : on comprend assez vite que le film sera rythmé par les séances de cours de thé. Heureusement, même si le dispositif est usé jusqu'à la corde au terme du film, on ne note aucune répétition. En effet, le réalisateur déjoue la monotonie propice au sujet et sait alterner scènes drôles, scènes tendues et scènes riches en émotion dans la même pièce et pour les mêmes circonstances. Le film se veut une chronique de vie et s'étale ainsi sur deux décennies. Certes, il y a un petit problème de maquillage pour voir le temps passer sur le visage des trois héroïnes et on peine à croire que Maître Takeda vive aussi longtemps quand on voit ce qui arrive au père de l'héroïne. En choisissant de ne pas se reposer sur un scénario en béton mais d'étudier une société et une tranche de vie, Tatsushi Ômori n'évite pas certaines longueurs, surtout un passage assez mou et vain avant les scènes qui clôturent le film.


Néanmoins, Ômori réussit de nombreux paris. Le premier consiste à nous intéresser à ces traditions de cérémonie de thé, en partie grâce aux trois héroïnes. On se prend à rire aussi bien de la maladresse de départ des deux jeunes élèves que du caractère strict de l'enseignement avec des règles absolument grotesques et peu pratiques. Les réactions de Maitre Takeda face aux erreurs des deux jeunes femmes sont imprévisibles tant les gestes que font les élèves nous sont inconnus. Il y a donc une vraie attention demandée au spectateur par rapport aux gestes des élèves et aux réactions de l'enseignante. On est alors captivé par la précision des gestes, on ressent aisément la tension. Ômori a d'ailleurs la bonne idée de filmer ses scènes en coupant toute musique, tout son extérieur. Le spectateur est ainsi pleinement concentré sur la cérémonie de thé. L'absurdité de la rigueur de cette cérémonie est mentionnée lors de scènes anodines mais savoureuses (utilisation des bols une fois tous les douze ans, place de l'invitée) qui donnent lieu à quelques rires. C'est d'ailleurs la force du film : réussir à nous captiver pour des gestes en apparence peu intéressants si bien que le spectateur vers la fin du film devine les erreurs et précède les remarques de Maitre Takeda mais aussi infuser de l'humour dans une situation très sérieuse.


Le film questionne subtilement les traditions à travers un conflit léger de génération : les deux élèves veulent comprendre pourquoi la cérémonie se déroule de telle manière tandis que leur enseignante ne s'est jamais posée la question et parait toute embarrassée. Le réalisateur a le recul nécessaire pour décrire et en même temps faire réagir le spectateur sur des détails quelque peu ridicules : comment plier une serviette ou la déplier, la ranger dans telle partie de son vêtement... Les rires nerveux fusent dans la salle. Ômori opte pour une mise en scène qu'on peut qualifier "japonaise" : il y a une infinie douceur dans le cadrage, l’enchaînement des plans, les choix de lumière. Les costumes varient souvent et sont tout bonnement magnifiques. La précision apportée au son est remarquable et intensifie la tension lors des cérémonies de thé. Ômori s'adapte très bien à son environnement et sait filmer le lieu quasiment unique de l'action. Sa caméra occupe très bien cet espace sans pour autant nous faire ressentir être en face d'un huis clos.


Ce que Ômori cherche à faire c'est aussi étudier le temps qui passe : les errances de l'héroïne en termes romantiques et professionnels sont bien retranscrites et on ressent très bien le soulagement qu'elle peut éprouver à l'idée qu'elle peut se rattacher à ce cours tel un rituel. Ce cours l'empêche de mûrir et en même temps la fait grandir. On la sent stagner en dehors de ces cours et pourtant elle évolue bien. La parte d'un être cher au milieu du film va avoir des conséquences : peur de perdre Maître Takeda à son tour, peur de ne plus avoir cette bouée de secours que sont les cours de thé. Le réalisateur a la bonne idée de changer de regard : l'héroïne va peu à peu passer d'élève à maîtresse ou en tout cas conseillère. Ainsi, on rit d'elle au début du film, on rit avec elle vers la fin face à des élèves d'une maladresse incroyable. Les fous rires sont alors garantis. Puis vient le temps où elle se remet à faire des erreurs voire à les accumuler. La relation entre les deux cousines est aussi très belle et doit beaucoup aux deux actrices toujours justes et au jeu très riche.

lucaslgl
8
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2020

Critique lue 151 fois

1 j'aime

lucaslgl

Écrit par

Critique lue 151 fois

1

D'autres avis sur Dans un jardin qu'on dirait éternel

Dans un jardin qu'on dirait éternel
EricDebarnot
6

Le sens de la vie ?

Après avoir souffert une sorte de martyre durant les deux longues heures et demie de "Tenet", il nous semblait évident d'aller nous réparer et le cœur et l'âme devant "Dans un Jardin qu’on Dirait...

le 3 sept. 2020

16 j'aime

3

Dans un jardin qu'on dirait éternel
Electron
7

Chaque jour est un bon jour

Noriko (Haru Kuroki) vient de terminer ses études. Pas encore fixée sur son avenir, la jeune femme hésite et évoque le sujet devant ses parents, en présence de sa cousine Michiko (Mikako Tabe), tout...

le 3 juil. 2019

16 j'aime

3

Dans un jardin qu'on dirait éternel
JKDZ29
8

Laisser le temps infuser

Dans cette atmosphère automnale qui s’installe déjà, dans le tumulte de la rentrée, une parenthèse sereine et hors du temps semble tout à fait bienvenue. Et pour ce faire, un voyage dans le Japon de...

le 5 sept. 2020

8 j'aime

2

Du même critique

Climax
lucaslgl
8

Un trip vertigineux

Le réalisateur revient cette année avec un film moins ambitieux, moins événementiel car ne brandissant ni grand concept comme programme (l'amour dans Love, la mort dans Enter the void) ni scénario...

le 3 oct. 2018

2 j'aime

Dans un jardin qu'on dirait éternel
lucaslgl
8

Un film japonais délicat et, surprise, très drôle

Fan de cinéma japonais, j'appréhendais la sortie de ce film au vu de la bande annonce et du sujet. Il est vrai qu'on peut craindre le pire : on comprend assez vite que le film sera rythmé par les...

le 6 sept. 2020

1 j'aime

Pompei
lucaslgl
5

Une coquille plutôt vide mais crépusculaire

John Shank, auteur de L'Hiver dernier avec déjà Vincent Rottiers, s'est associé à la chef décoratrice Anna Falguères pour réaliser un film parfait pour la fin d'été. Enfin, parfait, c'est à...

le 2 sept. 2020

1 j'aime