Il fut un temps où Disney avait d'autres ambitions que de faire des remake et abreuver les enfants de morale lénifiante. Disney + ne propose pas grand chose de neuf, mais permet au moins de revoir quelques excellents classiques.


Fantasia était une oeuvre exigeante et expérimentale, à plus d'un titre. "Orchestré" par Walt lui-même, si j'ose dire, ce dessin animé se voulait un pont entre la musique symphonique et l'animation. Disney revenait sur l'essence même de son art, la musique et le dessin, intrinsèquement liés depuis les débuts de cet art. L'occasion d'entendre quelques chefs d'oeuvres de la musiques classique sublimés par des animations grandioses.


Tout commence de la manière la plus abrupte et expérimentale qu'il soit : sur la toccata en ré mineur de Bach, le film propose des figures géométriques qui défilent, se croisent et s'entrecroisent au rythme de la fugue. Le ton est donné. Le film considère son public avec maturité, lui proposant d'emblée l'exigence par l'abstraction. Moderne, très loin des thèses convenues voire réac de certains films des studios, Fantasia affiche sa différence depuis toujours. Film devenu culte au fil des années, il n'en demeure pas moins un des moins accessibles des studios.


Bien sûr il s'appuie sur quelques moments d'anthologie bien plus accessibles comme le célébrissime L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas où l'on voit Mickey s'exercer au contrôle de son balais. La musique ici raconte une histoire, des personnages, des actions, des tensions, des émotions. Elle retrouve sa fonction illustrative même si c'est le dessin quelque part qui illustre la musique dans ce film.


Pour ma part je suis admiratif du travail sur le Sacre du printemps, une fresque énorme sur les origines du monde, avec des dinosaures et tout ce qu'il faut pour faire rêver un enfant car n'oublions pas la fonction première de ce dessin-animé. Attaque de T-rex, lave en fusion, ambiance crépusculaire et volontiers sombre. Cet épisode tranche avec Casse-Noisette, la Symphonie Pastorale ou encore La Danse des Heures, trois oeuvres où les personnages dansent, carnaval des animaux,, banquet des dieux, ballet des fées.


Mais l'autre morceau très particulier de cette oeuvre est le final, Une nuit sur le mont chauve/Ave Maria : entre enfer et paradis, apocalyptique, crépusculaire, et plein d'espérance. Le début, effrayant, ballet de démons, de monstres et de goules jusqu'à devenir des gargouilles jusqu'à devenir procession dans une forêt cathédrale. Ici, le dessin arrive à lier deux oeuvres antagonistes entre elles pour finir en douceur, par un grand apaisement. La progression même de l'oeuvre semble nous conduire à ce point final, de toute beauté.


Bien sûr on pourra reprocher les arrangements du chef d'orchestre, Stokowski, célébrissime maestro de l'orchestre de Philadelphie, l'absence aussi, à l'époque de femmes dans ledit orchestre, si ce n'est à la harpe. On regrettera aussi la brièveté de l'exercice, on aimerait entendre tant d'autres chefs-d'oeuvres ! Mais on se consolera avec ces intermèdes où l'on voit les musiciens se préparer, le bonheur de l'attente, ce retour continuel à l'orchestre, ces hommages rendus par le narrateur à la musique, et la musique elle-même, véritable sujet du film, de bout en bout merveilleusement illustrée.


Passant par toutes les émotions, abstraction féérique, pure déclaration d'amour à la musique, ce film avait de l'ambition, bien plus que les énièmes prequel, sequel, rebut que Disney nous pond aujourd'hui. Fantasia est l'essence même de Disney, son âme originelle, avant qu'elle ne soit désincarnée. Avec la volonté d'être une sorte d'introduction pour les enfants à la musique classique, comme peut l'être Pierre et Loup de Prokofiev, ce film ne prenait pas ses spectateurs pour des imbéciles mais pour des êtres dotés de deux oreilles et de sensibilité, capables, à travers les images et la magie du cinéma, de rendre la musique savante intelligible.

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le 16 avr. 2020

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Tom_Ab

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