La condition métaphysique des Noirs aux Etats-Unis.

Dans le regard indolent et compréhensif de Chris transparaît quelque chose de profondément érotique, qui se marie avec une certaine langueur de ses gestes assurés et gracieux. Il incarne son existence avec une douce ironie, parfois un peu cynique, de manière acidulée, amusée et désabusée. Ses yeux étonnamment expressifs couronnent un visage tendre, et ses sourires sont comme des invitations à le comprendre, à prendre sa place, à s'imaginer être lui. D'une certaine manière, par cette sexualisation intense de son corps, par les plans de la caméra qui presque s'insinuent en lui et le pénètrent, le film fait de son personnage principal un objet et donc quelque part un esclave. En quelques secondes apparaît alors le sujet du film : le Noir américain est toujours dans la métaphysique américaine un esclave, parce qu'il est sans cesse ausculté, considéré, incarné, possédé par celui qui le regarde. Get Out n'est pas seulement un film d'horreur à la limite de l'absurde, il est un film philosophique brillant et réjouissant, car il met les mots sur une sensation intuitive qui est celle de la possession de l'autre par une trop grande tentative de compréhension. En essayant de se mettre à la place de quelqu'un, même avec des intentions bienveillantes, le sujet que l'on regarde devient peu à peu un objet, et un homme-objet n'est ni plus ni moins qu'un esclave. Tout cela est certes symbolique, mais il met les mots sur le malaise sociétal de la situation des Noirs aux Etats-Unis. Get Out est un coup de tonnerre dans les films américains, souvent bons, qui regorgent sur le sujet. Il sort du misérabilisme, ou de l'héroïsme à outrance tarantinien pour jeter un regard original sur une question qui n'a pas fini de faire couler de l'encre, ou de faire chauffer les objectifs des caméras.


Le film possède une réelle esthétique. Les plans sont très bien travaillés, bien conçus, savent jouer avec les couleurs et l'angoissante perfection des banlieues chics. Cette grande et belle maison qui évoque les domaines des anciens esclavagistes est très bien rendue à l'écran. Les acteurs sont tous formidables, et je ne peux m'empêcher d'admirer le jeu de l'acteur principal qui a su incroyablement bien incarner cette proie, ce bétail, ce corps. Le scénario met en place une certaine tension qui s'accroît peu à peu tout le long du film pour exploser dans une scène gore finale. S'il raconte une histoire qui n'a pas grand sens évidemment, elle renoue avec les classiques du film d'horreur, entre le savant fou et les sectes diaboliques. La bande-son est caricaturale à l'extrême, mais cela donne finalement un charme à l'oeuvre. Certaines scènes sont très fortes, notamment les scènes d'hypnose, et un certain psychédélisme se dégage de l'ambiance globale de Get Out, qui demeure un excellent film. Il démontre que la politique et le droit ne font pas tout au sein des sujets sociétaux, et que la civilisation conserve les archétypes fondamentaux qui déclenchent les inégalités.

PaulStaes
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les films de ma vie

Créée

le 24 juin 2018

Critique lue 98 fois

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 98 fois

D'autres avis sur Get Out

Get Out
BobChoco
5

I told you so

Bon, pour ceux qui n'ont pas vu le film, passez votre chemin. Ce qui m'a attiré de prime abord, c'est le "genre : horreur" annoncé par la com sur la toile couplée au pitch: "Chris est noir. Chris...

le 22 mai 2017

136 j'aime

15

Get Out
Behind_the_Mask
7

I am not your negro

Wahou ! C'est que c'était bien, finalement, Get Out ! Behind est soulagé car il craignait d'avoir payé sa place pour un pamphlet politique qui aurait dépassé son genre de départ, que le masqué...

le 4 mai 2017

120 j'aime

7

Get Out
Clairette02
8

Man, I told you not to go in that house.

Des bienfaits de ne pas trop se renseigner sur un film... Je suis allée voir Get out en pensant qu'il s'agissait d'une comédie, portant sur le racisme aux Etats-Unis. Pas sûr que le terme de...

le 1 mai 2017

99 j'aime

8

Du même critique

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

23 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

10