L’ascète samouraï
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Jim Jarmusch possède une indéniable patte, chose tant évidente que le seul Only Lovers Left Alive tenait de la révélation grisante, sans coup férir. Quant à ma seconde virée dans son univers lunaire, Ghost Dog ne déroge en rien à la règle de l’atmosphère tangible : suspendu entre plusieurs époques, son enrobage du « seul contre tous » ne se contente aucunement de dépeindre un rapport de force primaire, l’empreinte du japon médiéval rehaussant le potentiel original de l’œuvre.
À l’image de son atypique (mais talentueux) réalisateur, le long-métrage nous expose une sacrée brochette de drôles d’oiseaux, figures en décalage avec notre temps et vestiges d’univers révolus ou en passe de l’être. Le rôle-titre qu’est Ghost Dog fait montre d’une rigueur n’ayant d’égale que sa simplicité, le Hagakure lui dictant une conduite élevant honneur et spiritualité comme fondements de l’existence : parfaitement campé par un Forest Whitaker confondant d’excellence, cette ombre aussi insaisissable qu’implacable tient lieu de portrait taciturne, mais par-delà l’armure de glace guette une chaleur rassurante.
Partie prenante malgré lui d’une bavure des plus sarcastiques, le voici en proie aux ardeurs vengeresses d’une clique de mafieux remarquables : ceci, non dans un sens purement élogieux, leurs fabuleuses mines patibulaires rendant compte de l’ampleur de leurs caractères odieux. Menée par des Henry Silva et Cliff Gorman délicieux, cette troupe de natifs italiens va donc s’échiner à liquider le Ghost Dog, en dépit des avertissements avisés de l’ami Louie : entre deux eaux, ce dernier endosse donc à l’occasion le rôle de témoin d’une friction rarement vue, tout en jonglant de son mieux au gré d’une délectable ambiguïté.
Car du rôle de sauveur aux deux versions, son étiquette de mentor associée, à la loyauté (presque) aveugle qu’invoque cette Cosa Nostra, aussi réduite et malhabile soit elle, l’attachant Louie souligne à n’en plus finir la facétie chronique donc sait faire preuve Ghost Dog : à l’image d’une narration aérienne, entrecoupée des pensées de Jōchō Yamamoto, le long-métrage désamorce toute tension dramatique au profit d’une ironie mordante (telle cette crise cardiaque inopinée), le retour de flamme imperturbable qu’est le tueur à gage s’avérant plus captivant qu’il n’y paraît.
Se jouant des sempiternels codes propres aux films de gangsters, Ghost Dog porte notre attention finalement ailleurs au gré de multiples interactions : qu’il s’agisse alors de faciès marquants, de dialogues hauts perchés (comme ces discussions de sourds avec Raymond) ou de façon plus intangible une humanité criante de symboles, Jim Jarmusch dote cette fin des ères d’une signature éminemment sympathique.
Le plan formel est également indissociable de l’ambiance happante du tout, la rythmique toute indiquée qu’imprime RZA confère au long-métrage un ancrage très contemporain : au travers de cette soundtrack résolument hip-hop, les déambulations de Whitaker s’arrogent bien plus encore le contraste des époques, chose à laquelle contribue de bout en bout références et autres images.
Pour ne rien gâcher, la mise en scène réserve son lot de fulgurances appréciables, de quoi agrémenter une direction d’ensemble simple mais inspirée. S’il fallait à présent pointer du doigt un écueil (il y en a peu), je tendrai à qualifier le dénouement de facile dans la logique du tout : bien que raccord au cheminement et la réflexion sous-jacente que revêt Ghost Dog, la prévisibilité de cette résolution aux accents fatalistes nous laisse quelque peu sur notre faim... dommage.
Mais pour le reste, il s’agit là d’une petite pépite valant incessamment sous peu le coup d’œil, à bon entendeur.
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Créée
le 29 nov. 2017
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