Rarement un film a été autant d'actualité... littéralement. Le procès du cardinal Barbarin est en cours, et voilà que François Ozon livre un tableau virulent du diocèse lyonnais. Chaque personnage est un acteur, tout le monde à son rôle à jouer, tout le monde est ou victime ou coupable. Le film se termine par cette phrase cinglante, écrite en blanc sur fond noir : tout le monde est à l'heure actuelle présumé innocent. À qui la faute ?
Tout d'abord, le commencement. Alexandre emmène ses enfants à la messe, mais alors qu'il s'apprête à franchir le seuil du palier, une voix-off, la sienne, commence a raconter un événement singulier. Il a récemment retrouvé un ami du scout à la sortie de l'école. La conversation passe et soudain ce dernier lui demande : "Toi aussi tu as subi des attouchements du père Preynat ?".
La voix-off se révèle en fait être la lecture d'un mail envoyé au diocèse. Elle ne s'adresse donc pas à nous, et il en sera ainsi de tout le film. Le spectateur ne joue d'autre rôle que celui du témoin et le film se déroule sur le modèle du documentaire. On passe d'un personnage à un autre, d'une victime à l'autre. Chacun, ou presque, a son témoignage à faire, comme si François Ozon montait le procès véritable ; mais la polémique est bien là. Les discours sont hallucinants et ont une force figurative poignante (que les flash-backs viennent malheureusement atténuer plus que renforcer). On suit progressivement le cheminement de trois personnages, qui abordent chacun l'affaire de façon différente, et le spectateur est comme happé dans un combat qui s'impose comme une nécessité.
Mais si on y regarde de plus prêt, quelque chose dérange. Une anomalie fait tâche. Les églises sont filmées de façon magistrale, et François Ozon ne se prive pas de donner un ton de ferveur à son film. Ainsi on voit un enfant monter les marches d'un escalier, accompagné par un chant de chœur... mélancolique. Si le réalisateur se garde bien de s'attaquer à la foi, la question survient d'elle-même. En effet, comment cela est-il possible ? Comment personne n'a pu rien dire ? Sans cesse, les acteurs feront face à la pitié, à la reconnaissance, mais aussi à la dénégation. Il y a un tabou sur la question, et c'est lui qui est visé ici. On ne le dit pas, mais on le ressent à chaque fois qu'un frère, un père ou, bien entendu, un homme d'église se fera plus hésitant, répondra à côté ou de façon maladroite. On retrouve même ce tabou dans le titre du film, polysémique. "Grâce à Dieu, ça veut dire heureusement", et c'est une formule qui peut dès lors être très mal interprétée, pour peu qu'elle soit mal placée. "Grâce à Dieu", ça veut aussi dire... grâce à Dieu, ou comment un prêtre, par le ministère qu'il est censé rendre au Saint Père, a pu se rapprocher dangereusement des enfants, au su de tous ceux qui n'ont pas voulu le dénoncer. Le film n'est pas un appel à l'athéisme, mais la question, à la fin, reste ouverte : ainsi soit-il ?