Clint Eastwood n'est pas un homme, c'est un mythe. Depuis Joe Blondin, en passant par l'inspecteur Harry, le cavalier solitaire a su imposer à tous une certaine aura du mec à qui on ne la fait pas, du mec qui peut paraître sympa et tout, mais en réalité, non (en fait si, il est super sympa, surtout lorsqu'il prononce un discours en ... français à la cérémonie des Césars). De retour devant la caméra, ce film marque aussi un retour à ses premières armes, l'incarnation idéale d'un homme solitaire, dont la froideur du regard pourrait en dire long sur les intentions qui vont suivre, et dont le renflement sous le manteau n'est pas sans laisser présager la dissimulation d'une arme mortelle (le manteau, pas la braguette).
Bref, il était l'homme de la situation, le premier rôle rêvé pour ce film qui brasse de multiples thèmes, depuis la solitude causée par le traumatisme d'une guerre dont on ne parle pas assez, en passant par les petits soucis intercommunautaires d'Amérique et d'ailleurs, parfois causés par les ressentiments suscités par la dite guerre dont on n'a déjà oublié le nom, ou encore la religion qui pourrait s'apparenter à la seule voie de salut pour atteindre la rédemption (enfin, ça, c'est pas trop du goût du héros). Parce que bon, c'était à prévoir, sous la carapace de cette tortue géniale se cache un petit cœur qui palpite, aussi surement que le prêtre du film aime se toucher la ... Euh, ça devait rimer, mais finalement, vaut mieux pas.
Un acteur sérieux, pour un film sérieux traitant de thèmes sérieux, mais attention, faudrait pas croire, Gran Torino est aussi une œuvre qui réserve son lot de surprises ! Le héros solitaire raciste qui se surprend à se découvrir des sentiments au contact d'une communauté qu'il abhorre, ça peut sembler être du réchauffé, là comme ça, c'est sûr. Mais pour faire passer la pilule, Clint Eastwood a recours à des acteurs qui n'en sont en fait pas, histoire d'apporter un gage de crédibilité vis-à-vis de la communauté Hmong qu'il dépeint (et que personne ne connaît). Acteurs tantôt charismatiques, à l'instar de la petite Sue, mais parfois un peu absents, un peu comme Tao (ce qui est un peu dommage, vu que c'est le second rôle du film. Ou le troisième, si on considère que Clint Eastwood compte pour deux acteurs). Le cheminement du récit emprunte alors des détours convenus, mais servis par une quantité telle de répliques cultes qu'on se prend à rire alors qu'on ne devrait pas être surpris. Clint Eastwood parle peu, mais bien, à l'inverse d'un certain Nicolas S. qui ... Ah non, c'est trop voyant, ça. Disons plutôt N. Sarkozy.
En effet, les répliques constituent l'un des points forts du film, alors que le héros s'en prend à tous ceux qui l'entourent, un peu comme dans Deux jours à tuer, où Albert Dupontel déversait sa bile sur ses proches. Là aussi, tout le monde en prend pour son grade (en particulier les gens de couleur). Grosse surprise de ce côté-là, donc, qui permet au spectateur de savourer le film et de ne pas voir le temps passer, jusqu'au dénouement final, qui là encore, n'est pas celui auquel on pourrait s'attendre. De fait, on se retrouve avec une fin inattendue pour un film que l'on n'espérait pas.
Ainsi, à presque 80 ans, Clint Eastwood montre une fois de plus qu'il a encore tout à fait sa place au cœur du 7ème art, et que pour lui, ça roule. Au volant de sa Gran Torino.