« Le nouvel Exorciste », combien de fois a-t-on entendu cette comparaison avec le classique de Friedkin ? Chaque année depuis 1973, on se retrouve avec au moins un film se prétendant en être l'héritier, sans jamais répondre aux attentes, à quelques exceptions près. Hereditary fait à ma plus grande joie partie de ces exceptions, même si la comparaison avec Rosemary's Baby serait plus adaptée. (spoilers)


Une histoire de possession démoniaque, c'est loin d'être nouveau, à partir de là, si le traitement du scénario et la mise en scène n'a rien d'original, on va vite se faire chier. Heureusement, même si ce n'est que son premier film, Ari Aster a parfaitement compris comment rendre un film réellement effrayant et intéressant du début à la fin. Déjà, il fait un superbe travail sur l'ambiance du film, exit les jump scares à outrance, Hereditary préfère faire travailler notre imagination, c'est beaucoup plus inquiétant quand on ne sait pas vraiment ce qu'on voit, une silhouette dans le noir, une ombre qui ne devrait pas être là, un reflet déformant la réalité, ou encore quelque chose de caché dans un coin de l'image, sans qu'on soit sûr qu'il y soit vraiment, pendant toute la durée du film, il plante les graines, sans jamais résulter en jump scare cheap, pourtant il y avait la place, et dans les mains d'un réalisateur moins talentueux, on aurait eu droit aux plus gros clichés imaginables.


Personnellement je trouve ce travail de l'ambiance bien plus terrifiant qu'un viol des tympans, car je suis constamment alerté par ce qu'il se passe à l'écran, et non inquiet par la possibilité de devenir sourd, chose que trop de films de genre actuels semble oublier, car il faut faire plaisir à Jean-Brandon et Kelly qui ne lèvent la tête de leur portable que si quelque chose leur saute à la gueule, avant de rire bien fort dans la salle car c'était effrayant et imprévisible cette scène dans le noir où la musique s'est arrêtée pendant que l'africain de la bande ouvrait une porte (je pars en couille là).


Ce travail de l'ambiance de n'arrête d'ailleurs pas à l'absence de jump scare, mais se fait aussi par un superbe travail derrière la caméra. Le ton est d'ailleurs donné dès la scène d'ouverture et ce plan séquence montrant la transition entre la chambre de la réplique miniature de la maison et la vraie chambre. On a d'ailleurs le droit à de nombreux autres plans séquence dans le film, histoire d'appuyer la tension, parfois avec de longs plans fixes, comme après la mort de Charlie, qui encore une fois préfère nous laisser imaginer plutôt que tout nous montrer directement, ce qui rend les rares fois où le film nous montre clairement les choses beaucoup plus choquantes, comme le plan sur la tête décapitée bien après que l'accident ait eu lieu.


Outre la réalisation somptueuse, le film est bien aidé par d'excellentes performances de ses acteurs, que ce soit Milly Shapiro, qui excelle dans son rôle de gamine bizarre sans en faire des caisses, ou Gabriel Byrne dans un rôle très réservé mais essentiel à l'histoire, même s'il a un peu un rôle de spectateur, il est la voix de la raison, d'ailleurs sa mort est très cruelle bien qu'elle serve le propos du film. Alex Wolff poursuit ses bons choix de carrière (contrairement à son frère) et nous montre une fois de plus ses talents. Le fait que son personnage ne soit pas un cliché d'adolescent aide bien, c'est sûr, mais l'écriture combinée à la performance de Wolff donne un super résultat. Son jeu se trouve principalement dans son regard, et ses différentes réactions aux événements, comme quand il tue sa sœur sans le faire exprès, sa performance est totalement au point. Mais la meilleure performance est à mettre au crédit de Toni Collette, tout bonnement incroyable, elle porte totalement ce film, elle passe par toutes les émotions possibles, et la scène du dîner devrait à elle toute seule lui faire gagner une nomination aux prochains oscars (à moins d'avoir une année totalement fantastique au niveau des performances), je suis déjà prêt à parier qu'elle sera snobée, mais vu que c'est A24 à la distribution, il y a peut-être moyen.


Si j'ai adoré ce film, j'ai tout de même un énorme problème, la fin, plus précisément les 5 dernières minutes. Je trouve que si le film s'était arrêté juste après que Peter saute à travers la fenêtre, il aurait été parfait, et la fin aurait eu un petit effet choc, qui ne laisse pas sur sa faim, mais laisse libre cours à l'imagination des spectateurs ou aurait permis à ceux qui analysent chaque détails du film de trouver d'excellentes théories. Le problème, c'est que le film continue pendant quelques minutes après ça, le plan où Annie lévite vers la cabane est magnifique, c'est vrai, mais le reste est dédié à expliquer le film pour ne pas perdre le spectateur, et à expliquer des choses qui étaient plutôt subtiles jusque là, le culte, le démon, et tout le reste, en payant attention aux détails du film, on pouvait en arriver à cette conclusion, sauf qu'il y avait un cheminement intellectuel à réaliser. La fin du film en explique à la fois trop et pas assez, trop pour contraster avec la subtilité du reste du film, mais pas assez pour vraiment entrer dans les détails du plan, quitte à expliquer les choses, autant ne pas le faire à moitié.


Mais outre ces 5 dernières minutes, je n'ai absolument rien à reprocher au film, c'est de l'horreur psychologique comme je l'aime, c'est subtil, superbement mis en scène, ça respecte mes tympans, les acteurs sont exceptionnels, tout un mélange qui me fait dire un truc que je ne dis quasiment jamais, oui, ce film m'a fait peur.

Créée

le 17 juin 2018

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KiraYagami

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