Avec Hostiles, Scott Cooper pourrait afficher haut et fort ses ambitions, sa volonté d'explorer les fondements de l'Amérique et de renouveler le genre qui lui est habituellement dédié, à savoir le western. Le risque alors d'avoir une œuvre emphatique et prétentieuse est grand, et fort heureusement ce ne sera pas le cas ici. Conscient, sans doute, qu'il ne pourra pas révolutionner un genre auquel tant d'autres se sont essayés avant lui, Cooper aborde son sujet avec humilité et inscrit ouvertement sa démarche dans un modèle purement traditionnel, s'inspirant aussi bien de l'âge d'or hollywoodien des années 50 que du western révisionniste des années 70. En agissant ainsi, notre homme fait preuve de conformisme, certes, et on peut voir son western comme un bon « film à Oscar » (ce qu'il est, reconnaissons-le). Néanmoins, le film parvient à se distinguer du tout-venant hollywoodien, en conciliant qualités esthétiques et questionnement moral, posant notamment cette question fondamentale : comment faire naître une société civilisée d'un terreau aride, sauvage et brutal ?


Dès les premières minutes, il affiche ses intentions en se référant malicieusement à C'era una volta il West de Leone. Un groupe de Comanches attaque une ferme isolée et massacre une famille entière de pionniers, enfants y compris. Rosalie, la mère de famille, regarde impuissante son foyer partir en fumée et nous laisse entendre la question de la survie : Comment se remettre à croire en l'humanité après avoir éprouvé la barbarie, comment dépasser sa souffrance et son désir de vengeance pour retrouver une existence civilisée ? Ou tout simplement, comment vivre après avoir connu la mort ?


Après une entrée en matière aussi forte, appuyant allègrement sur la dimension symbolique (la terre originelle souillée par le sang) et sollicitant avec tout autant d'insistance notre empathie (l'innocente petite famille tuée par les méchants indiens), on pouvait craindre le pamphlet purement moraliste sur la violence. Cooper va vite nous rassurer, au cours notamment d'une première partie plutôt bien exécutée, en détournant les clichés et en jouant sur le sens des images. C'est d'ailleurs sur le plan esthétique que Hostiles s'avère le plus convaincant, en suggérant finement l'omniprésence de la mort, en nous faisant prendre conscience du caractère inévitable de la violence : le jeu sur les lumières et l'exploitation des clairs obscurs vont faire émerger l'idée d'une brutalité naturelle ; le montage et le recours au plan large vont confondre la sauvagerie de l'homme avec celle de son milieu.


En suivant la route tracée par les films anciens (The Searchers, Unforgiven, ou le plus récent The Revenant), Hostiles met en place un visuel éminemment suggestif, rappelant que la violence est inhérente à l'être humain et qu'elle est ainsi indissociable de l'Histoire américaine (comme l'indique la citation de D.H. Lawrence mise en exergue). Cooper sonde ainsi la nature même des Etats-Unis, n'oubliant pas le génocide originel sur lequel le pays est bâti, et appelle à la prise de conscience morale : si la violence habite l'Homme, l'apaisement passe par son refoulement.


Pour la faire émerger, Hostiles choisit la voie intimiste et évite ainsi le piège de la complaisance envers la violence. Celle-ci, en effet, ne sera jamais esthétisée ou représentée de manière légère. La violence est crue, dure, et jamais agréable à voir. Les Hommes qui la font en portent d'ailleurs les stigmates moraux : ils sont torturés, épuisés, éreintés par une vie faite de combat et d'atrocité. La violence, alors, ne s'exhibe pas à travers un spectacle cinématographique douteux, et entraîne l'individu vers une déchéance des plus abjectes. Qu'ils soient Yankees ou Amérindiens, tuniques bleues ou simples quidams, ils ont tous sacrifié leur humanité sur l'hôtel de la haine et de la violence.


C'est ce que parvient à exprimer une première partie, résolument clairvoyante, qui délaisse l'épopée grandiloquente au profit d'un drame profondément humain. La lenteur du rythme sert à merveille la démarche esthétique et place ainsi les dilemmes moraux au centre de l'écran. Ces derniers prennent leur pleine puissance dramatique grâce à une mise en scène qui sait distiller les silences et les non-dits, chargeant l'ambiance d'une morne pesanteur. Plutôt que les mots, ce sont les regards qui sont chargés d'exprimer la souffrance, et ils y parviennent d'autant mieux qu'ils ont trouvé en Max Richter un précieux allié.


Mais si les histoires individuelles marquent les esprits, elles ne prennent sens qu'au regard de la grande Histoire. Même si la démarche est forcément prévisible, et parfois beaucoup trop visible, Cooper va continuellement s'échiner à mettre en parallèle le destin du pays avec celui des protagonistes. La bonne idée scénaristique, par exemple, sera de placer l'intrigue à un carrefour de l'Histoire : les guerres sont finies ou reléguées en hors champ, annonçant l'oubli pour les Hommes qui la font. Sans champs de bataille, il n'y a point de gloire pour les guerriers de tous poils, Yankees comme Amérindiens. Pour survivre dans ce nouveau monde, fort justement symbolisé par le changement de siècle, il ne faut plus être violent mais pacifiste, il ne faut plus être sauvage mais civilisé. L'allégorie est limpide et compréhensible par tous. Malheureusement, dans la seconde partie, Cooper va se sentir obligé d'expliciter un peu lourdement ce que la première partie avait plutôt finement évoqué.


Le récit en lui-même, qui voit le capitaine Joseph J. Block trouver le chemin de la rédemption en apprenant à vivre avec son ennemi, le chef indien Yellow Hawk, est aussi classique que sans surprise. Cela n'est pas un problème en soi puisque de nombreux grands films ont été bâtit autour d'une intrigue aussi basique. Seulement, Cooper, le nez continuellement collé dans ses références cinématographiques, va avoir beaucoup de peine à concrétiser ses bonnes intentions. En voulant absolument exalter la dimension symbolique de son histoire, il va vite s'enferrer dans le didactisme et le démonstratif. Il va citer, à tout va, (en autre) John Ford – allant même jusqu'à reprendre le fameux plan final de The Searchers – et Clint Eastwood – les allusions à Unforgiven sont aussi nombreuses qu'insistantes – surlignant inlassablement son propos et tombant dans la glorification un peu simpliste de la solidarité et de l'ouverture d'esprit.


On pourra par ailleurs regretter une structure narrative linéaire qui n'échappe pas à la redondance, se contentant d'alterner séquence violente et contemplative, effort collectif et réflexion existentielle. Mais le plus gênant, finalement, c'est qu'en privilégiant autant l'esthétisme, Hostiles peine à donner une vraie consistance émotionnelle à ses personnages. Le manichéisme est évité, certes, mais les Indiens semblent un peu vite relégués au second plan ; quant à l'héroïne, Rosalie, elle apparaît tellement enfermée dans une douleur maintes fois surlignée, que sa soudaine bienveillance à l'égard des Indiens n'a rien de très crédible. Tout cela paraît un peu simpliste et maladroit, à l'instar de ce final où la rédemption est célébrée par les violons doucereux...


Même s'il n'a rien d'un chef-d'œuvre, Hostiles demeure un western de bonnes factures, humble et gentiment balisé, pouvant s'appuyer aussi bien sur d'indéniables qualités esthétiques que sur un personnage central véritablement complexe.

Procol-Harum
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le 25 nov. 2021

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