8 1/2 fait partie de la caste des films "mise en abyme". Ces films de réalisateurs qui réfléchissent sur eux-mêmes, comme s'ils étaient au bout du bout, comme pour accoucher d'un testament. Pour le réalisateur, c'est certainement un exutoire. Mais qu'en est-il du spectateur ? Où est sa place face à cet objet réflexif qui nécessite une "mind-map" de son auteur pour en comprendre ses directions faussement tarabiscotées ?

Pas que le film soit très compliqué, dans le fond, mais il use et abuse des procédés du "rien rien rien, rien du tout ; rien ne s'oppose à rien" qu'on pourrait presque qualifier de nihiliste si ce mot n'en était pas devenu un gros par la faute des gentils bienpensants de la critique cinématographique.

Sur le papier, cette vision fondamentalement dépressive de la vie ne peut conduire à autre chose qu'une production apathique et sans saveur. Et pourtant, malgré ses longues 2 heures et quelques, le film se réserve quelques fulgurances (la rumba, les coups de fouets misogynes) qui réveillent le spectateur, comme en sursaut ; endormi qu'il était par des scènes et des scènes d'un réalisateur perdu par intermittence dans ses pensées nostalgiques, qu'on pourrait elles-mêmes interpréter comme des court-métrages indépendants à l'intérieur d'un film sur un film. Vous suivez ? En gros, il faut se fier à la jaquette du film contenant le synopsis pour se donner une direction dans la lecture du film. Sinon, vous pouvez vous brosser. On peut comprendre rapidement que ce petit garçon que l'on croise de temps à autre est en fait le réalisateur, mais le propre du film n'est pas le "clair", l'"explicite"; et il s'en vante très certainement, tout du long, par la bouche du producteur, ou de l'aveu même du réalisateur poète.

Ils en ont rien à foutre. C'est bien le message. Et visiblement ça suscite l'admiration. Oui, la photo est belle, voire très belle. Oui, les actrices dont les fessiers et les poitrines fort mises en valeur excitent une certaine fibre dans le moi du mâle. Oui, un érotisme certain sous-tend tout ce parcours de vie "sans amour", constitué d'un "harem" d'actrices dont on peut disposer d'un battement de cils. Mais je cherche encore le plaisir du divertissement pour ce qu'il est... Malgré sa forte propension à se défendre tout du long par des dialogues qui répondent directement aux détracteurs dont je fais partie, il donne l'impression d'être conscient de ses propres tares ("film d'avant-garde sans en avoir les qualités"), mais ne se corrige pas pour autant, quitte à mépriser le spectateur "de basse classe" comme on intime à ce marin faisant des claquettes de dégager sa misère ailleurs.

Et c'est là qu'on retourne à l'idée de départ : un film foncièrement déprimant réalisé par un réalisateur névrosé ; entre eros et thanatos. Un testament qui peut plaire aux aficionados du réalisateur, mais diablement lent et difficile à finir pour ceux pour qui le cinéma doit garder une large part de signifié, et de "rêve" dissimulé sous une intrigue qui tient en haleine. Ici, malgré la fantasmagorie, on palpe une sorte de cinéma désenchanté privilégiant le signifiant, pour une petite caste dont je ne prononcerai pas le nom, mais qui se retrouve très bien en ce personnage principal, traînant son costard et sa nonchalance de dîners mondains en banquettes luxueuses.

Je suis d'ailleurs étonné de voir que ce sont ces mêmes défauts que je retrouve dans l'académisme d'un Intervista, pourtant sorti bien plus tard. On ne se refait pas, faut croire, mais j'ai du mal à comprendre comment un réalisateur peut tenir avec aussi peu de matière... Mais là encore, je n'invente rien, il le dit haut et fort pendant ces 2h10 d'autosatisfaction chronique d'"intellectuel". Une nouvelle manière de mépriser la plèbe, et de lui faire comprendre qu'ils sont au-dessus, et que la populace ne les méprise non pas parce qu'ils sont imbuvables et hautains, mais parce qu'ils ne peuvent tout simplement pas s'élever à leur niveau de maîtrise pour comprendre tous les ressorts de leur réflexion vacante.

HAINE (mais en beauté).

PS : et je ne parle même pas des pubs pour Ford et Coca-Cola qui ajoutent à ma sympathie pour ce film.
Adrast
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le 25 janv. 2014

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