La dernière fois que je l'ai vu, j'avais noté, déjà, qu'il n'était pas mon Wong Kar Wai préféré. Je dois ajouter pour expliquer cela que j'avais été un peu rembarré par les personnages, que je les situais mal. Aujourd'hui, je lui préfère toujours "Chungking express" ou "2046", mais j'ai été beaucoup plus touché par les personnages. Je n'ai pas ressenti cette étrange distance notée auparavant.

Mais je comprends également que j'ai pu éprouver ce fossé car, fondamentalement, il reste une incompréhension. Pourquoi cette femme ne parvient-elle pas à quitter un homme qui ne l'aime plus, qu'elle aime moins (au point de le quitter finalement quelques années après) pour rejoindre un autre qu'elle aime et qui l'aime ?

WKW est obsédé par l'échec amoureux. La satisfaction amoureuse est systématiquement impossible. Il aime à filmer la montée des sentiments, cette lente et charmante évolution dans les cœurs, puis la rupture, quand les personnages découvrent que ces sentiments ne peuvent aboutir qu'à la séparation.

Mais ici, l'histoire ne donne pas vraiment d'explication. Quelle raison impérieuse justifie la faillite de cette idylle ? Dans une histoire d'amour qui échoue, les protagonistes vivent intensément la rupture. On pourrait dire qu'ils vivent l'absence de l'être aimé avec tant de force qu'ils en soupèsent chaque parcelle d'explication possible. On sérine ces putains de raisons qui ont pu amener à souffrir autant. Or ici, les deux personnages semblent vivre avec ces raisons dans une sorte d'intériorité qu'ils ne partagent pas, qu'ils n'expriment pas. Seules la tristesse et la souffrance se lisent dans les visages, dans les pleurs. C'est sans doute pour cela que j'ai pu ressentir de la distance, je suppose cette pudeur un peu frustrante pour moi en tant que spectateur.

Lors de cette revoyure, j'ai pu apprécier davantage le jeu des acteurs et surtout la justesse de Maggie Cheung. Cette femme, à la silhouette aussi longiligne, au regard fuyant, à la personnalité si discrète est un ravissement pour l’œil mais surtout très attendrissante. Pas étonnant dès lors que le personnage joué par le toujours excellent Tony Leung Chiu Wai en tombe amoureux. Ces deux-la jouent à l'économie et traduisent l'émoi amoureux avec sobriété et force.

Travail d'acteur très impressionnant que la mise en scène sophistiquée de WKW sublime. Le blu-ray Criterion est le format ultime pour siroter pareille photographie. L'agencement des couleurs, les mouvements de caméra, ainsi que les cadrages donnent au film ce style inimitable que certains parfois osent comparer à un clip ou de la pub Fashion. On voit bien où ils veulent en venir, mais il y a des raccourcis curieux qui vous font louper la bonne adresse, vous détournant carrément de la destination. Que WKW ait adopté un style léché, sophistiqué et que ce style soit réutilisé ou qu'il soit proche de celui de la mode, de la pub ou que sais-je encore ne signifie en rien qu'il soit le fruit d'un travail artistique médiocre, d'une conception creuse ou qu'il ne produise pas des films pleins et profonds. Ce serait un jugement trop hâtif voire malhonnête de s'en tenir à ce genre de comparaison. Je maintiens donc mon qualificatif d'inimitable et laisse aux cuistres leur incapacité à voir l'évidence, à admettre que les films de WKW racontent des histoires bien concrètes, expriment des émotions profondes et ce, de manière superbement maîtrisée, dans la forme dans le rythme comme dans l'intensité. Et jusqu'à maintenant, aucun artiste digne de ce nom n'a eu l'idée saugrenue de faire du WKW , ce style étant si puissamment identifiable.

In the mood for love est donc un très beau film, à qui voudra bien prendre le temps de le voir, d'admirer le jeu des comédiens et la petite mécanique qui se met en place entre couleurs, cadrage, lignes, formes et mouvements.
Alligator
8
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le 19 nov. 2013

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Alligator

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