"Je n'ai pas peur de la mort. Ce dont j'ai peur, c'est du Temps."
Après avoir vu Inception, je m'étais dit que Christopher Nolan devait absolument éviter de s'attaquer à des sujets nécessitant une certaine fibre poétique. Un homme pour qui les rêves ne sont guère plus que des simulations informatiques, froides, raisonnées et bien rangées était-il à même de s'attaquer à la conquête spatiale ? Malgré mes doutes, le projet avait suscité en moi une impatience démesurée. Un space-opéra réaliste, supervisé par Kip Thorne, l'un des plus grands astrophysiciens actuels ? Je voulais y croire, faire taire ma part pessimiste qui ne peut plus s'empêcher d'être déçue par les promesses du cinéma contemporain... Et cette fois, j'ai rêvé.
Il y a un équilibre, une alchimie difficilement quantifiable qui s'opère. Le réalisme de l'entreprise ne bouffe jamais l'exaltation onirique de la découverte de l'inconnu. La science et la fiction parfaitement unies. De la hard-science dramatique sur grand écran et un pauvre petit spectateur soufflé par l'immensité des espaces qui l'ignorent. Je peux vous le dire, j'ai goûté à la rare satisfaction de voir mises en scène les idées scientifiques les plus oniriques qui me bercent depuis que je me suis passionné pour l'astrophysique vulgarisée des Jean-Pierre Luminet, Hubert Reeves et autre Trinh Xuan Thuan. Les passionnés savent que la plus haute expression de la science n'est pas de rendre plus prosaique notre univers mais, au contraire, de le resacraliser. Et c'est le défi relevé par Interstellar.
Le film révèle l'intime lové dans l'immensité. Tout y est construit autour de ça: le scénario, la mise en scène, les effets sonores voire même la musique de Zimmer, abstraction assumée comme un murmure religieux sans fin. Prenant pour base une situation familiale tout ce qu'il y a de plus terrestre (fait rarissime dans le space-opéra cinéma), l'odyssée spatiale à proprement parler devient dans Interstellar ce qu'elle devrait toujours être: une extension de l'humanité, un reflet vertigineux de notre conscience étouffée par la limite de la mortalité et du temps. En partant de là, il serait facile d'en faire trop et de se laisser complètement submerger par son sujet. Mais Nolan choisit toujours l'intimité. Et c'est paradoxalement ce refus du grand spectacle gratuit qui porte parfois le film jusqu'au sublime.
Le spectateur est vraiment embarqué avec les astronautes dans le cercueil volant qui leur sert de vaisseau spatial. La caméra est proche des corps, la vision est étriquée, souvent collée à la coque du vaisseau, malgré quelques furtifs et libérateurs panoramas cosmiques. Nous sommes coincés avec eux, littéralement écrasés par le vide. Car au-delà de l'Homme, il n'y a plus rien. Nous étouffons physiquement, mais aussi émotionnellement lorsque nous voyons le Temps couler inexorablement entre les doigts de héros impuissants. Je ne pourrai jamais louer assez le jeu d'acteur époustouflant de Matthew McConaughey qui rend ces enjeux dramatiques pour le moins vitaux.
Malgré toute cette sobriété que je ne cesse de louer, Interstellar n'oublie pas d'être un spectacle, un vrai. C'est juste que, durant ces trois heures, j'ai totalement oublié les effets spéciaux. Des images de synthèse dans le film ? Peut-être, mais moi je n'ai vu qu'un défilé de planètes et d'astres hurlant de silence.
Avouons cependant que le film connait des baisses de régime, particulièrement en son milieu. Avouons aussi que l'exploration des planètes proprement dite est assez décevante car bien trop secondaire. Avouons surtout que le final contient quelques incohérences et qu'il ne plaira pas à tout le monde. Un certain goût de bâclé m'est resté en bouche...
Mais ce que je vous avouerai par-dessus tout, c'est que j'ai adoré un film à gros budget hollywoodien et que ça faisait très longtemps que ça ne m'était pas arrivé.