Regarder ce film, c'est un peu comme voir une superbe nana tenter de faire le grand écart entre la terre et la lune. C'est rigolo, plaisant à regarder, un peu gênant, et si vous êtes d'humeur , vous pouvez essayer d'en sortir une réflexion quelconque. Mais l'un dans l'autre, ça ne casse pas de pattes à quoi que ce soit. Excepté peut être à la fille.

Attention, hein, ce n'est pas un mauvais film. Ce serait même plutôt un bon. Des fois. Quand quelqu'un y a vraiment réfléchi, le scénario est malin, quand ils le veulent, les acteurs font un super job, quand il sert l'intrigue, l'aspect SF est vraiment intéressant.
Et quand ce n'est pas le cas ? Ben, ça se sent. Mais ça se sent avec flamboyance, c'est déjà ça.
D'où un travail critique extrêmement difficile. Peu de film m'auront partagé autant. Pour résumer, on pourrait dire que c'est un film où beaucoup de choses marchent, mais qu'elles ne le devraient pas.

Je précise tout de suite que cette critique sera pleine de spoilers, la plupart du temps sous entendus, mais quand même. Lisez à vos risques et périls.

Or donc, Interstellar est un film de SF avec un sujet "à l'ancienne", dont la base est à priori simple et efficace : on envoie un bonhomme dans l'espace pour une raison X ou Y. A partir de là tout peut arriver. On sent d'ailleurs Nolan faire une espèce d'hommage à ce genre en nous livrant nombre de bons vieux poncifs durant la première partie : héros blasé mais fantasque, ado bon gars, gamine trop vive et trop mignonne pour être vrai, fusée classique, patelin péquenot comme on en a vu des milliers... Une usine à cliché qu'on serait bien en peine de mettre au rang des défauts tant la volonté de clin d'oeil est visible. Mais pour intensifier un peu le propos, la situation se voit intensifier d'une lente agonie de l'espèce humaine, problème le plus récurrent de notre époque. Le voyage dans l'espace devient immédiatement plus dramatique, plus nécessaire. Il se voit doter d'une ampleur dépassant largement le champ personnel et revêtant une portée symbolique puissante ( cf le poème du professeur ).
Une initiative qui ne manque pas d'intérêt, donc, mais... vraiment utile ? Le désir d'absolu et d'aventure me parait déjà une motivation suffisante, et qui aurait non seulement libéré du temps pour le développement des personnages, mais aussi permis au scénario de rester concentré sur l'aventure spatiale. Et c'est bien là mon plus gros reproche au film. Il manque de focus. A partir d'une histoire prometteuse de voyage spatial, on part dans des concepts comme la gravité, la famille, les posthumains, la fin du monde, l'espace-temps, l'instinct de survie, la 5eme dimension, le pouvoir de l'amour... C'est le bordel le plus total, et si certains points restent bien intégrés à la trame, d'autres sont superflus et n'y sont maintenus que par des bouts de ficelles. Un peu gros, les bouts. Comme justement cette apocalypse progressive, originale mais qui aurait bien mérité un film à elle seule.
D'où un aspect parfois boiteux de l'intrigue, enchaînant moments enchanteurs de maestria et poignant de sensibilité avec pénibles scènes d'expositions et des thèmes vaguement survolés. Ainsi, si l'idée de la rupture totale de contact avec la Terre donne lieu à de magnifiques séquences ( les acteurs ne joueront pas mieux que dans celles-ci ) et que le personnage de Matt Damon est intelligemment développé, la révélation d'une base secrète à deux pas de chez lui ou l'abandon de sa planète s'éloignant dans le vide sidéral ne semble pas choquer le héros plus que ça. Sans oublier évidemment des dialogues d'anthologies, tels que :
"-J'ai passé une vingtaine d'années tout seul avec une boite de conserve parlante dans quelques mètres carrés en plein espace !
-Oh mon dieu ça va ?!
-Çaycool."
ou encore :
"-On ne peut pas tuer des robots qui ont acquis un niveau de conscience d'eux même !
-Si on peut.
-Ah bah okay."
Autant de points qui auraient pu être abordés plus ou profondeur, à défaut d'être tout simplement supprimés du scénario.

Le film n'est au final jamais meilleur que quand il se concentre sur l'aspect le plus simple, le plus primaire de son histoire. Des humains. L'espace. Tout est dit. Tout vient de là. Les interactions entre les personnages, les craintes et les aspirations de chacun, tout ce que peut susciter l'ultime frontière de notre espèce. Et c'est beau. Les effets spéciaux en mettent plein la vue. Certains passages sont terriblement oppressants. D'autres laissent béats d'admiration. Le surf extraterrestre et la destruction de la navette sont saisissants. Même les robots apportent une touche d'humour réussie à cette partie du film. C'est dit, rien ne battra le plaisir de la découverte, de l'aventure extrême où le film nous entraine.
Cependant, pour réussi qu'ils soient, je tiens à mettre un bémol sur l'originalité des effets spéciaux. Vous vous rappelez dans Inception, où l'on pouvait voir toutes les merveilles du monde oniriques, et qu'outre des vieux hangars, des hotels et des bunker, son summum était une ville à la verticale ? C'est exactement pareil ici. Nolan ne dérange aucun code visuel. L'espace est ce qu'on attend de l'espace, le passage dans le trou noir est impressionnant, mais manque complètement d'imagination, les planètes sont des archétypes tout bêtes ( eau-glace-terre )... Sans demander du space opera, on aurait pu espérer un peu plus de fantaisie. Seul le tesseract a une véritable identité graphique.
Par ailleurs la réalisation, si elle est efficace, n'a rien de bien exceptionnelle. Si on l'est emporté par cette histoire, ce n'est surement pas grâce à elle. Nolan semble bien plus s'intéresser à son vaisseau et à se qui s'y passe que ce qu'il implique. A savoir, l'espace tout autour. Des gens coincés dedans. Il manque un plan sur l'infini qui écraserait le spectateur de son ampleur. Un plan serré qui nous ferait sentir la précarité de la survie de nos personnages. Des paysages ou des formations caressées pour nous pénétrer de l'exotisme fondamental de l'entreprise. Ici, on s'en tient au strict minimum. Ça reste beau, mais il n'y a que peu d'audace, et donne l'impression que le film tient plus par ce qu'il représente que par ce qu'il est.

Un mot sur les acteurs avant de passer au scénario dans son ensemble. Tous font correctement leur job, en général sans plus. Matthew McConaughey joue assez lourdement le redneck rebelle dans la première partie du film, mais cela s'arrange largement par la suite. Anne Hattaway est efficace deux répliques sur trois, ce qui, pour un rôle se résumant grosso modo à être le mcguffin du héros, est déjà pas si mal. Matt Damon joue très bien, ce qui, je l'avoue, m'a un peu surpris. Les robots sont presque trop humains pour leur avancement supposés, mais ça colle avec leur rôle de sidekick comique ( et leur design casse du béton à coup de boule ). Au final, ce sont surtout Michael Caine et Jessica Chastain qui réussissent à faire passer des émotions sans fausse notes, dominant aisément chaque scène où ils apparaissent.
La musique, quand à elle, une fois passé un thème beau et lancinant, peut facilement se résumer à "BOOOUUM-PADAAAAM". En Zimmer dans le texte.

Interstellar est un film qui veut compter. Cela se sent dans le moindre cadrage soigné, dans tous les thèmes très sérieux, dans chaque envolée lyrique. Encore faut il accepter de s'investir assez pour délivrer un scénario en béton, afin qu'on puisse vraiment traiter ce métrage en égal avec les plus grands. Et c'est là, le grand croche-pied qui fait chuter toute la prétention du film. Il ne tient juste pas assez debout. Et il fallait un peu s'y attendre, à s'attaquer à un sujet aussi vaste et complexe que les paradoxes temporels galactiques... dimensionnels... euh, providentiels... je crois.
Non, à vrai dire, je ne sais même pas comment appeler ça. pseudo-science ex machina ? Gros coup de pot ? "c'est paradoxal, your argument is invalid" ? Parce que le résultat reste une impression de bâclage d'un auteur qui n'avait aucune idée de comment faire se rejoindre toutes ses idées pour la fin de son oeuvre. Ou un trip d'acide frelaté, au choix. On est invité à supposer que les humains du futur ont ouvert un portail sous la forme d'un trou noir pour pouvoir communiquer aux humains du passé la formule nécessaire à leur propre existence, mais ils avaient besoin de la force de l'amour d'un père qui devait d'abord être par hasard absorbé sans son vaisseau dans le coeur du trou noir pour pouvoir... Ouais, non, je crois que c'est juste mal fichu.
Et c'est très dommage, parce que ce film a aussi de très bons moments d'écriture. Toute la "trahison" du dr Brandt était une thématique brillante et un twist surprenant, par exemple. Mais ce final en happy ending forcé empêche véritablement de prendre le film autant au sérieux qu'il pourrait l'être. Et pose de nombreuses questions sans réponse. Pourquoi les activités gravitationnels auraient elles déréglé l'appareil de Cooper la première fois, puisqu'on a vu qu'elles n'avaient au final rien à voir avec tout ça ? Comment a-t-on récupéré Cooper ? Comment est vraiment arrivé le trou noir ? Pourquoi de gigantesques ( et sans doute ruineuses ) stations spatiales si les humains comptent se rendre directement sur la nouvelle planète ? Pourquoi les posthumains ont rendus les données du trou noir aussi difficile d'accès ?
Je n'ai pas de réponse, et j'ai bien peur de ne pas être d'humeur à tout balayer d'un "c'est philosophique, ça s'explique pas". Cette inconsistance scénaristique, associée à deux trois autres points, comme une fin du monde peu crédible par manque de développement ou une vision américano-centrée du monde assez risible ( rassurez vous, dans le futur, les gens joueront toujours au base-ball ! ) n'arrive cependant pas à occulter les qualités évidentes du film.

Car le résultat, bien que foutraque au dernier degré, reste très sympathique. Certes, on dirait que le synopsis a été écrit par dix personnes différentes qui ne se sont jamais croisées, mais si cela refuse au film le panthéon qu'il espérait tant, ça ne ternit en rien les bonnes scènes qui sont, répétons le encore, vraiment bonnes, ni le fait qu'on passe clairement un bon moment d'un bout à l'autre, même si on s'autorise à persifler un peu aux deux extrémités.
Quelque part dans le néant cosmique d'un scénario alambiqué et de fautes de goût se trouvent toujours des astres de tendresse, d'ambition, d'intelligence et d'humour robotique. C'est sans doute pas comme ça qu'on sauvera l'humanité, mais je mets le scaphandre quand vous voulez.
Kevan
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le 8 nov. 2014

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Kevan

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