Adapté à de multiples reprises, le motif de l’homme invisible est un fantasme à double tranchant, sur lequel Verhoeven lui-même s’est cassé les dents : l’occasion d’un exercice de style presque abstrait pour le cinéaste, mais qui ne doit pas pour autant sacrifier aux lois du genre, à savoir le thriller.


Cette nouvelle version se propose donc comme une variation sur une partition éculée qui trouve néanmoins un angle on ne peut plus d’actualité mais va se révéler d’une grande acuité, celui des violences conjugales et du portrait d’une femme tentant de se débarrasser de l’emprise d’un pervers narcissique. La longue exposition exploite avec densité ce motif, notamment dans un intense prologue d’évasion nocturne d’une superbe maison dans une atmosphère et une photographie clinique que ne renierait pas Fincher, et pose les fondations d’un traumatisme qui pourrait aisément se passer de toute la dimension surnaturelle que prendront les événements par la suite. Cecilia est brisée, obsédée, sous emprise et incapable de se débarrasser de la présence, invisible, de cet homme qui a juré de la retrouver où qu’elle aille.


A cette attention portée au portrait d’une femme violentée s’adjoignent les premiers signes attendus par le spectateur, et toute cette partie révèle une jolie maitrise du réalisateur, multipliant les petites malices pour révéler une présence, s’offrant le luxe de la longueur, du silence, voire de l’absence de musique. La buée, un drap qui coince, le creux d’un fauteuil composent avec délicatesse un effroi croissant, tout en alimentant les soupçons de paranoïa délirante d’une victime de plus en plus isolée.


Il aurait fallu s’en tenir à ce stade, résolument intenable dans un pareil contrat narratif, des prémices. Car la musique (péniblement dans l’air du temps, avec ses nappes outrancières de basses), le thriller et les énormités scénaristiques vont assez rapidement reprendre leurs droits, sur la loi tragiquement respectée de la surenchère et des retournements peu nécessaires (un frère, des fusillades, une grossesse, une gentille ado victime ultime), et une morale finale un brin gênante dans l’apologie de la justice at home. Ou comment, même en traitant de l’invisibilité, les grosses ficelles bien voyantes gagnent toujours, la faute à un aveuglement toujours aussi persistant des producteurs quant aux attentes du public.

Sergent_Pepper
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le 22 sept. 2020

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