Au bout du tunnel, y a-t-il un paradis ?

16 ans après sa sortie, je découvre enfin l'un des films les plus haïs de tous les temps.
L'histoire de la projection à Cannes est connue de tous et tient en 9 minutes d'explication ; il a suffit d'un plan séquence - fixe - inhumain pour projeter Gaspard Noé au rang des cinéastes les plus pervers et méprisés de la croisette.


Et pourtant, Irréversible n'est pas un film qui parle de viol.
Le parti pris de bouleverser la chronologie des événements prend le contre-pied de la classique descente aux enfers.
Le film commence par une désorientation totale, le spectateur se retrouvant perdu dans un enfer qu'il ne comprend pas. D'une caméra virevoltant dans les rues on passe à une discussion pénitentiaire sur le temps, qui détruit tout. Puis, une boîte SM gay où se bousculent fantasmes inavoués, et destructeurs. Le tout sublimé par la BO incroyable de Thomas Bangalter, moitié de Daft Punk.


Dans cette tornade de malsain, le spectateur est malmené. Mais au lieu d'escalader l'échelle de la violence, on la descend progressivement pour rejoindre un monde de tendresse et de douceur. Là est la force du film de Noé, qui utilise l'horreur de la première partie du film pour réinterpréter toute la fin, à contre-temps.


Ainsi, toute remarque anodine de Cassel à Belluci lors des dernière séquences prend une autre dimension ; d'une étreinte trop violente à un commentaire désobligeant sur un ton humoristique, tout prend un attribut malsain et dramatique au vu de ce qui va se passer. Le film met ainsi en relief la cruauté de cette réalité violente qui transparaît dans le rapport sexuel, cette animalité naturelle qui peut se transformer en cauchemar. La scène dans le métro où les personnages de Cassel, Belluci et Dupontel parlent en rigolant de comment bien faire l'amour et donner un orgasme est d'un malaise troublant à cause du viol qui va suivre. Nombreux sont les éléments apparemment anodins qui renforcent le malaise. Cette vision aurait été impossible si le film suivait la chronologie réelle des événements.


Noé joue avec la perception du public et pose une remise en question sur des moments de vie simples parasités par un drame imposant.


Inéluctablement, le spectateur avance dans un tunnel dramatique qui le laisse passif, sur le côté. Cette passivité est notamment reflétée par l'individu que l'on voit en arrière plan pendant la scène de viol, qui malgré avoir vu l'agression, s'enfuit. Moi - Je - devant mon écran suis le reflet de cette lâcheté. Je n'ai aucune autre alternative : je dois regarder, hypnotisé. Face à moi-même, face à mon rapport à la violence humaine je ne peux qu'abdiquer.


Passif aussi devant ce drame, cette tristesse infinie dans laquelle le spectateur se perd lors des dernières séquences.


Le temps détruit tout : il est irréversible. Seul l'artifice filmique permet de remonter le temps et fuir l'inexorable. Au bout du tunnel, y a-t-il un paradis ? Non, ou bien il n'est qu'artificiel. Toute chose doit s'arrêter, parfois dans la violence la plus destructrice.
Finalement, Irréversible n'est pas le film que l'on pense être. Par sa finesse, Gaspard Noé envoie une dose émotionnelle forte au spectateur : lorsqu'on sort du visionnage, il ne reste qu'un goût amer, une frustration, une colère. Il faut que tout cela réuni nous aide à nous battre pour la vie, les belles choses, ceux et celles qu'on aime : traverser le tunnel pour y créer son propre paradis.

Tvkgh
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le 23 août 2018

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Tvkgh

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